jeudi 5 février 2009

Le retour de la tentation

Celle de croire que quelque chose est possible...

La compréhension de Vic, son humanisme en lutte contre l'inhumanité de son parti, le retour de Yan(aïs) qui veut espérer en la lucidité de ses congénères, Xiao May, amie française sinologue, sinophile, sinophone de Paris qui m'écrit:

"Mais non, ce n'est pas ta nationalité qui gène la belle-mère! C'est le fait que tu sois divorcé, vieux et pauvre!" La vérité sort de la bouche des vrais amis! Un ami qui ne nous dérange pas n'est pas un véritable ami...

Malgré tout ça, toujours en difficulté au moment d'admettre... Victor, dans sa réponse d'hier, pointe juste quand il évoque la figure de l'intrus. Nous en avions parlé l'an dernier, à travers le court-métrage de Claire Denis consacré à Jean-Luc Nancy. C'est exactement ça. Cette société encourage le refus/rejet de l'intrus d'autant plus violemment qu'il s'aventure en coulisse, ne s'en tient pas à son rôle de spectateur enthousiaste d'une vitrine factice. Les postures sont figées par une aberrante légitimité culturelle... Si la lobotomie imposée par son statut de jeune garde rouge peut éventuellement expliquer l'attitude de la belle-mère, que penser de celle du beau-frère qui après dix ans passés en France, un DESS de commerce international en poche, refuse encore d'acheter un produit japonais fabriqué en Chine par des ouvriers chinois? En France, il n'a pas souhaité me recevoir... Rentré en Chine, il a expliqué à sa soeur qu'il n'acceptait pas que sa fille (2 ans) soit tôt ou tard pervertie par les Français... Et quid de cet étudiant fortuné qui depuis deux ans parcourt l'Europe à partir de sa base universitaire d'Aix en Provence et finit par rencontrer l'âme soeur à Prague... Quelle coïncidence, elle est tout comme lui originaire de Changzhou!


La Chine telle que je la perçois, c'est le règne du surmoi. Le carcan scolaire, familiale, sociale est tel que le parti n'a ni à trop s'inquiéter, ni même à se montrer trop explicite, cela nuirait à la qualité des échanges commerciaux. C'est beaucoup plus subtile, diffus, que ça... L'Occident imagine toujours de vilains méchants militaires en faction à la sortie des lycées, alors qu'il s'agit beaucoup plus sûrement d'un réseau de délation, de comités de quartier, d'associations de Thénardier en train de placer leur fille Place du Peuple pourvu que le prétendant ait un bon revenu et un appartement, la voiture sera appréciée... Un trublion débarque, parle de liberté, de libre-arbitre, d'auto-détermination, de plaisir, de choix! C'est à dire d'amputation! Verser de ce côté-là, s'embarquer pour l'aventure de l'autonomie (loi de soi), c'est renoncer au confort pervers de la déresponsabilité - c'est pas moi, c'est mes parents, Kong Zi, mon patron, on peut rien faire, c'est la Chine... Il faut un courage titanesque pour, dans ce pays aux égoïsmes muselés par le collectivisme théorique, oser faire entendre sa voix. Tous ceux qui n'ont pas osé auront vite fait de vous le faire payer...


Et ce terrible pragmatisme justifiant toutes les compromissions a désormais de magnifiques jours devant lui suite à l'arrivée inattendue d'un allié de choc: la crise! Yanaïs a raison quand elle signale l'incrédulité nouvelle et critique de sa génération - du moins les quelques exemplaires qui peuvent prétendre à sa capacité d'analyse - mais que vont-ils faire, oser, dans un tel contexte de peur omnidirectionnelle entretenue? Le chômage, la maladie, la ruine familiale, le tout sous la menace permanente d'étrangers qui, des massacres de Nanjing au sac du Palais d'Été, ne sont animés que par un désir: nuir à la Chine! Trois ou quatre générations plus tard, en pleine mondialisation, alors que la Chine est en position de banquière des USA et vient de passer devant la France et l'Allemagne!


Réponse d'une étudiante dont je suis le mémoire de licence et à qui j'ai osé demandé un effort de présentation après avoir reçu quelques lignes dans un mail, en guise de plan, sans titre et pas même en pièce jointe: "Pourquoi? Les profs chinois ne demandent pas ça!" C'est cette attitude systémique, profondément enracinée dans les (in)consciences, qui annule les processus d'échange et d'évolution réciproque. Alors bien sûr, oui, j'ai gagné (?) en modération depuis quatre années que je suis ici, mais cela relève de la crise de foi, pas de l'appaisement... Les candidats au débat progressiste sont de moins en moins nombreux et, si l'hostilité est à peu près stable, l'indifférence à toute possibilité d'évolution tourne à la marée noire. En quoi est-ce que l'inertie pourrait s'apparenter d'une quelconque façon à du pragmatisme?




Dans une note d'Images brisées, en avril 1976, à la mort de Mao, désespéré par la nomination de Hua Guofeng "le nouveau Lin Biao" Simon Leys écrivait:



Dans l'immédiat, la situation paraît donc sinistre. Et pourtant, à long terme, nous aurions peut-être tort de désespérer. Pour qui a la foi dans la capacité des peuples à triompher de leurs maîtres, nul ne saurait mieux justifier cette espérance et cette confiance que le peuple chinois. N'a-t-il pas réussi, en dépit d'incroyables obstacles à maintenir, plus durablement que tout autre, le plus riche ensemble de valeurs humaines qu'on ait vu sur cette terre?


Je ne puis m'empêcher de penser qu'aujourd'hui, c'est avant tout de lui-même que le peuple chinois doit triompher.



























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