mardi 24 février 2009

Chen Yue jie alias Joyce

Chen Yue jie a 31 ans, elle est établie sur Huai Hai zhong lu et Yunnan nan lu où elle produit toutes sortes de projets dans un studio d'enregistrement qui semble construit autour d'elle, à sa mesure d'ingénieur du son. À son compte, elle travaille environ quatre-vingts heures par semaine, disons onze mois et demi sur douze. Quand je l'ai rencontrée en 2006, elle s'est présentée sous le nom de Joyce, a été charmante et très pro le temps que j'enregistre une voix pour un film d'entreprise – un Français rencontré un soir, indisponible ce jour-là, avait donné mes coordonnées… Joyce et moi, nous avons sympathisé, envisagé quelques collaborations qui n'ont pas abouti. Quelques mois plus tard, je l'ai rappelée avec un projet aberrant: lui amener mes quatre-vingts étudiants de deuxième année pour, en guise d'examen semestriel, leur faire enregistrer les articles qu'ils avaient écrits façon radio-libre sur la vie du campus… Deux petits problèmes: pas de budget et forcément le dimanche… No problem, I like the idea, she said… Une amitié est née.

Yue jie est née à Shanghai, en même temps qu'une sœur jumelle, dans une famille assez extraordinaire pour que les filles soient consultées lors des décisions et orientations les concernant. Certes pas question de découcher avant le mariage mais des parents respectueux de la personne icarnée par l'enfant d'ordinaire voué à une indéfectible piété filiale. "Ça dépend des parents", tempère Joyce. "C'est vrai que bien souvent l'éducation en Chine équivaut à du dressage. La question du Japon est très symptomatique et symbolique. L'enfant n'entend qu'une vérité martelée par les enseignants, par les parents, et il lui est conseillé de ne pas penser par lui-même. Cependant, on va trop vite à stigmatiser la Chine sur ce point, c'est hélas très humain…" Joyce est titulaire d'une Licence de japonais… Sa meilleurs amie est japonaise et mariée à son cousin shanghaien. La famille japonaise n'a pas souhaité recevoir le garçon pourtant bien sous tous rapports, agent immobilier en pleine expansion. "La peur, la xénophobie, naissent de l'ignorance. L'éducation est un problème majeur en Chine, mais pas seulement en Chine… On cite toujours l'histoire pour situer l'ennemi à l'étranger, mais le passé, c'est le passé…"

C'est au printemps 2000 que Joyce a rencontré Xu Chong, son futur mari. Lui aussi étudiant de japonais, il est aujourd'hui producteur de pub TV, souvent pour l'étranger, notamment le Japon. "Paddy est pire que moi, les journées de 16 heures sont fréquentes. Cela explique peut-être qu'il nous ait fallu neuf ans pour nous marier…" Ils se sont promis d'essayer de lever le pied, de laisser un peu de place à leur couple, mais l'un et l'autre aiment leur job et sont persuadés qu'il n'y a rien à attendre de l'extérieur. "Cela prendra des décennies à la Chine pour réduire l'écart qui nous sépare de l'Occident et même du Japon." Joyce évalue à deux générations le retard socio-culturel pris par la Chine suite à la révolution culturelle et au retour du confucianisme. "La tradition du contrôle du pouvoir sur la population est toujours au programme. Et l'ouverture, contrairement à ce que l'on croit, exacerbe la paranoïa. Personne ne dit ce qu'il pense… Chacun ne peut compter que sur lui-même. Cela ralentit forcément l'évolution..." Pourtant, quand on lui demande quel est son projet personnel, hors business, elle déclare: "Devenir meilleure, quelqu'un de vraiment bien, dévoué à son entourage, disponible pour ses amis…" Elle revendique une spiritualité qu'elle se refuse de nommer: "Bouddhisme, oui, il y a un peu de ça..." Et si cet -isme n'était en fait que tout simplement humain?

Le voyage de Chihiro et Snatch sont ses films préférés; musicalement, il lui faut une mélodie pour apprécier, "ni rap, ni techno" ne sont compatibles avec ce monde auquel elle souhaite la paix. Pour elle, "échapper à la maladie et rester amoureuse" feront tout son bonheur, possiblement couronné par un enfant "mais surtout pas deux!". Quant à la Chine, son opinion persiste dans une honnêteté qui force le respect: "Il faut arrêter de prétendre à la fierté, de surjouer la fierté nationale, et créer de vraies raisons d'être fier. Par exemple en rattrapant le présent du monde sans perdre l'identité chinoise… On y arrivera peut-être si l'on garde le contact avec la jeunesse qui étouffe sous la pression… L'avenir leur appartient mais en Chine cette évidence n'est pas encore acceptable."

Il serait sage de ne pas s'attendre à rencontrer des Joyce & Paddy à tous les coins de rue, mais ils existent et, aussi certainement que Liu Zhi xia, incarnent la Chine contemporaine, loin des rodomontades autoritaires du pouvoir et des vociférations ultra nationalistes.
Photos: O.D. Entretien en anglais et chinois interprété par Zheng Xiangfei.

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