vendredi 20 février 2009

Liu Zhi xia, marchande de fleurs

Liu Zhi Xia a 52 ans et vendait déjà ses fleurs sur le trottoir de Shanxi nan lu quand je suis arrivé dans le quartier en 2005. On se dit bonjour d'un signe de tête, je lui achète un bouquet de temps en temps et ses rides me sont devenues comme un signe, un talisman au sourire fatigué. Le zhi (dje) de son prénom se traduit par gardénia (zhi zi 栀子) mais les prénoms de fleur sont très communs pour les filles, cela ne justifie pas son rayonnement, été comme hiver, du lundi au dimanche, au milieu de ses seaux qui se transportent facilement si jamais les cheng guan font une descente…

Elle et son mari viennent du Jiangsu, la province juste au nord de Shanghai, mais son fils et son petit-fils sont nés ici. Ses hommes sont aussi dans les fleurs, derrière la Place du peuple, une petite échoppe qui marche bien, selon elle. Si Zhi xia persiste sur Shanxi, c'est qu'elle y a ses habitudes: la famille louait aussi un magasin avant que les prix flambent - 40000 yuans par mois (4600€) d'après elle. Cela semble excessif comparés aux 20000 de Xin le lu, autre rue commerçante du secteur, en beaucoup plus passante, mais tout est possible. Si les proprios et les maîtres du quartier se mettent d'accord, décident de ravaler toutes les façades de la rue, il n'y a pas de limite… Sur le trottoir d'en face, le marché aux fleurs, tout en verrières d'un autre âge, a été rasé en 2005. Depuis on y coule des milliers de tonnes de béton pour en faire un parc qui sera prêt pour 2010… Les fleuristes qui sont des artisans à leur compte partent les uns après les autres, remplacés par des magasins de fringues et d'accessoires dont on ne voit jamais les patrons. Zhi xia s'est adaptée, juste devant le magasin qu'elle louait…

Avant-hier, elle ne les a pas vus arriver, les cheng guan ont saisi son petit stock et sont allés le balancer plus loin ou le revendre. Les cheng guan sont des flics municipaux spécialisés dans les vendeurs de rue. Ils disposent d'un pouvoir de nuisance illimité et sont facilement reconnaissables: uniforme wermacht, brutal par vocation, vociférant par conscience professionnelle. Zhi xia a un accord avec le magasin face à elle, prévenue à temps, elle se fait héberger avec ses seaux le temps que l'orage passe… Impossible de savoir combien ça lui coûte. Pas le sourire, pas le regard, pas la douceur de ses rides… Je lui ai promis un tirage, elle était gênée pour ses collègues-concurrentes du trottoir qui sont aussitôt arrivées pour se faire photographier.
Interprète: Zheng Xiangfei

3 commentaires:

  1. Je l'ai vue aussi quand je suis rentré la semaine dernière. J'espère que son business va bien maintenant. Ce sont eux, les gens communs qui nous préoccupent le plus, car une Chine plus réelle serait toujours témoingnée en eux et par eux.

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  2. Ce qui me touche en Chine, ce sont ces gens anonymes comme Liu Zhi Xia, cette marchande de fleurs, ces ouvriers sur les chantiers, les balayeuses sur les routes... avec qui la communication se borne à l'échange furtif d'un sourire ... et c'est mieux que rien.
    Ce qui me hérisse ce sont ces gens qui font la richesse de la Chine sous le regard indifférent des nouveaux riches.
    Ce qui me stupéfie ce sont ces gens qui continuent de courber l'échine comme leurs ancêtres depuis des siècles.

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  3. Liu Zhi Xia est effectivement touchante. L'idée de ces portraits, c'est de donner à ces sourires une lumière qu'ils donnent mais ne reçoivent pas... D'autres visages/histoires dans les temps à venir, en espérant témoigner de la diversité shanghaienne/chinoise... Pour ce qui est de la classe moyenne émergeante et des "nouveaux riches", si l'arrogance peut être palpable, notamment au volant de leur grosse voiture, il n'y a cependant pas que des méchants... Mais il est vrai que la notion d'individu, ici, n'a pas la même valeur qu'en Europe où la misère des uns peut parfois générer la culpabilité des autres. Quant aux mingong et autres qui "courbent l'échine", il faut, même si c'est difficile, d'une part se souvenir que nous n'avons pas toujours été des résistants, d'une autre, imaginer ce que peut signifier "se relever" ou "se dresser", pour un illettré, au moins provincial, parfois sans papiers (Hukou), face à une force brutale dans un état où le droit est celui du plus fort/riche/puissant, etc. Pour évaluer le prix à payer, lire "A la recherche d'une ombre chinoise" de J-Ph. Béja (Seuil, 2004) dont je parlerai prochainement ou "La promesse de Shanghai" de Stéphane Fière, chez Babel-Actes Sud. O*

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