dimanche 29 mars 2009

L'autre Amérique de l'autre Monde

Il est à nouveau question de globalisation: celle des consciences en général et de la mienne en particulier. Certains des articles précédents, au détour d'une phrase, d'une idée, disent tout le mal que je pense de l'impérialisme américain. De reagânerie en busherie, de Vietnam en Irak, de Huntsville Texas en Guantanamo, on en finit plus de pointer d'un doigt coléreux cette Amérique championne du monde de la pensée unique wasp in god we trust pourvu- que-ça-nous-rapporte-on-emmerde-le-reste-du-monde… Ne pas hésiter à voir et revoir We fuck the world cette caricature si juste proposée par les Guignols de l'info qui ne doit pas dispenser du nécessaire 9/11 de Michael Moore. Et là déjà, la faille apparaît… 9/11 est une charge imparable contre l'Amérique de Bush et son business criminel en Irak mais Michael Moore aussi EST Américain! Donc, de quoi parlons-nous quand nous généralisons à grands coups de "les Américains", "les catholiques", "les Français", "les Chinois", les étrangers, etc? C'est simple: cela ne signifie rien! Mais c'est tellement plus facile que l'on relâche sa vigilance et glisse dans la fabrique du consentement dénoncée par Chomsky…

Il n'est pas question de racheter tout à coup ce qui ne peut pas l'être… La première photo de la longue bande ci-contre est celle de Sitting-Bull (1), homme médecine Sioux qui fut d'ailleurs assassiné par l'un des siens mais qui symbolise bien l'acte fondateur de l'Amérique esclavagiste: un génocide. Cela ne peut pas être neutre, une telle mare de sang imprègne définitivement le tissu social, culturel, politique du pays…Comment alors expliquer la mansuétude dont nous faisons preuve pour cette Amérique brutale, criminelle, peuplée de garçons vachers mal dégrossis, de marchands de canons et de blondes décervelées? Peut-être, tout simplement, sommes-nous séduits par leur capacité à se remettre en question... C'est un pays de pionniers venus du monde entier qui offrent une diversité sans équivalent, créent une richesse culturelle dispensée du poids écrasant de l'histoire. Pourtant, malgré cette jeunesse relative David Thoreau (1817-1862) (2) a inspiré Gandhi en écrivant un premier traité de désobéissance civile. Rebelle et philosophe des bois, il est l'un des fondateurs de ce que l'Amérique aura aussi apporté au monde: le concept de liberté. Et ce n'est pas Jim Harrison (3) qui le reniera! Grand écrivain contemporain encensé par la critique et les lecteurs français pour son goût des grands espaces, ses vastes connaissances de la nature dans laquelle ils laissent se débattre des personnages en quête de sens, Big Jim n'avait que 25 ans quand Marilyne Monroe (4) meurt en créant ainsi le mythe parfait de la femme inaltérable… Elle aura tourné son dernier film avec Montgomery Clift (5), celui qui inspirera tous les autres avant de partir un peu vite lui aussi. Les concernant, plutôt que "des Américains", il serait plus juste de parler de l'intensité particulière des ailes/âmes brûlées dans l'incandescence des passions créatrices - l'Amérique ne les a pas créés, elle a rendu leur expression possible. Chet Baker (6) en est peut-être l'archétype, cramé à la lumière blanche de son génie. Alors que John Huston (7) et Henry Miller (8) auront chacun dans leur registre démontré les vertus d'une liberté totale par une œuvre monumentale et une longévité admirable! J'en ai choisis 50, autant que d'étoiles sur leur drapeau, sans réfléchir plus que ça. Sans problème pour aller jusqu'à 100 ou 150!

La comtesse aux pieds nus avec Ava Gardner (9) ou n'importe quelle chanson de Billie Holiday (10) disent à quel point l'Amérique est insaisissable et irréductible, polyvalente et aussi métissée que le monde lui-même. Seulement voilà, malgré l'incroyable virtuosité de Cassius Clay (11) et l'anarchisme poétique de Dylan (12), les perfections formelles et pourtant si distinctes de Kazan (13), James Dean (14) et Kerouac (15), et ce trait commun d'être des précurseurs, d'avoir pousser plus loin un principe ou une idée qui ne demandait qu'à s'envoler, ils sont aussi Américains, c'est à dire de furieux individualistes qui n'hésitent pas à attaquer le système qui les produit - John Cassavettes (16) pourrait à lui seul incarner l'esprit d'indépendance qui sous-tend toute la culture américaine. Et que dire de Ray Charles (17), noir, aveugle, toxicomane qui finira par être appelé The genius! Difficile de concevoir que le pays de What'd I say soit aussi celui de Laura et Gene Tierney (18)! Ce même pays où Martin Luther King (19) vint à bout du racisme institutionnel au prix de sa vie et où Charlie Chaplin (20) né à Londres et mort en Suisse put fonder Hollywood tout en démontant l'inanité du système! Contradiction, paradoxe, arrogance, narcissisme, complaisance, ou génie? Sûrement un peu tout ça et encore autre chose dont on ignore le nom, nous sommes au sommet du genre humain! Coppola (26) en quelques films réglera le compte du Vietnam et de la mafia issue de l'immigration italienne, tout comme John Fante (27) et Bandini l'alter ego anti-héros de ses romans. On peut aussi compter sur Neil Young (28) pour échapper aux classements et étiquettes. D'abord identifié folksinger, il fut la seule référence admise par Kurt Cobain (34), géniteur fiévreux jusqu'au suicide du grunge. Nicholson (29) se contentera de son incomparable talent de comédien pour faire une interminable fête toujours en cours, celle que Janis Joplin (30) a quitté une nuit d'octobre 70, une seringue dans le bras, quelques mois avant Jim Morrison (32) qui aura le bon goût d'en finir à Paris, pas loin du Père-Lachaise. La mort rôde et est même souvent courtisée dans ces parages extrêmes qui transportent le monde conservateur en des lieux malfamés où il se régénèrera presque malgré lui, contraint d'admettre que le rebelle, le fou, qu'il s'appelle Marlon Brando (31), Michael Cimino (33) ou Stanley Kubrick (36), avait vu l'invisible… Sam Shepard (35), de la scène à l'écran en passant par le livre, décrit cette Amérique foudroyante en partant du quotidien de la terre. Un pays parfois perdu dans la folie et la mélancolie, comme chez Brautigan (37), et qui se retrouve au bar du coin, chez Tom Waits (38) probablement. Bill Murray (39) ne va pas tarder à passer en revenant de chez Springsteen (40) où ils auront longuement et amèrement discuté de cette saloperie de guerre et des espoirs qu'ils placent dans le nouveau gouvernement. On peut se demander ce qu'Orson Welles (21) aurait fait de la modernité américaine. Classé génie dès son premier film régulièrement dans le top 10 de tous les temps, Citizen Kane est au cinéma ce que Voodoo Chile et Hendrix (22) sont à la guitare: des inclassables, des créateurs du genre humain qui se trouvent en l'occurrence, et seulement en l'occurrence, être américains. Qui n'a pas vu le regard halluciné de Chris Walken (23) dans Voyage au bout de l'enfer (Deer hunter) ne comprend pas bien de quoi je parle… James Crumley (24) aurait pu écrire le script, le Vietnam il l'a connu de prêt, avant de devenir l'un des meilleurs écrivains américains et de décocher cette formule popularisée par son grand pote Jim Harrison (3): "L'Amérique est un Disneyland fasciste". Johnny Cash (25) en était tellement persuadé qu'il donnera de nombreux concerts en prison – autre paradoxe tout américain! Et en matière de paradoxe, l'immense Clint Eastwood (41), républicain humaniste en train d'achever une œuvre cinématographique qui restera dans l'histoire, peut poser pour la postérité. Posture que ne renierait pas davantage Chuck Berry (42), le père du rock'n'roll si toutefois celui-ci acceptait l'idée d'un géniteur alors que le principe participe plutôt d'un état d'esprit, d'une quête festive, ou d'un festival des sens auquel, chacun à sa façon, Al Pacino (43), Jim Jarmush (44) et Patti Smith (45), participent encore sans oublier de saluer la mémoire de Ray Carver (46) dès qu'ils le peuvent. Même le tandem magistral De Niro (47), Scorcese (48), ne pourrait venir à bout d'une reconstitution de cette liste. Trop riche, trop contradictoire, trop multidirectionnelle, trop concernée par trop de sujets, d'états, de sens, de fonds et de formes – on ne résume pas la vie! Déjà celle de Sean Penn (49), ça ne va pas être simple! Au moins peut-on aujourd'hui, c'est tout frais, à nouveau croire en un petit quelque chose grâce à l'élection d'Obama (50), un Président métis dans un pays où cinquante ans plus tôt les Noirs ne voyageaient pas dans le même compartiment que les Blancs. Prodigieuse évolution qui ne tient pas qu'à l'argent… Ceux-là, ces 50 sortis spontanément de ma mémoire qu'ils ont nourrie, se sont eux-mêmes nourris à la source du monde entier. Ces cinquante-là participent de la mondialisation, pas de la globalisation, c'est pourquoi ils sont des hommes et des femmes avant d'être des Américains. Ils sont des sujets pensant et créant qui ne peuvent être réduits à un périmètre sur une carte ou à une caricature idéologique emprunté à ce que précisément ils récusent. Et ainsi des Français et ainsi des Chinois et ainsi de tout étranger à ma culture qui, au XXIème siècle, ne peut être que du monde entier dans toute sa diversité... non globalisée.
(à suivre...)

vendredi 27 mars 2009

Juliette Binoche, la french culture

En invitant Juliette Binoche mercredi soir, la France a sorti le grand jeu pour lancer la quatrième édition de Croisements, le grand boum culturel oeuvrant aux rapprochements des cultures. Cette Culture qui était donc le grand mot - Consulat de Shanghai et Ambassade de Beijing associés dans un événementiel de grand standing, au Sofitel de Nanjing dong lu - pour dire que la France rayonne encore, même en Chine où les temps sont durs pour les fils de la Tour Eiffel à défaut du ciel, ultime symbole de grandeur. Cette culture logiquement omniprésente en période de francophonie incluant festival du cinéma français, musique, danse, et présence de star ambassadrice du talent hexagonal, était donc représentée par Juliette Binoche, femme de caractère et esprit libre doté de ce petit quelque chose d'insaisissable qui participe grandement de son charme et la laisse voyager très sereinement du cinéma à la danse, en passant par la peinture, la poésie et les grandes affiches d'un parfumeur. Nous étions donc dans l'officiel de bon goût, très originalement mis en situation par une performance et une installation gastronomique dues à La cellule (Becquemin & Sagot)…
Mais avant de nous sustenter à même le personnel, il nous fallu accueillir la star jusqu'alors retenue par une conférence de presse. Elle arriva accompagnée de son partenaire chorégraphe et danseur Akram Khan, tous deux poursuivis par le halo d'un projecteur qui les conduisit jusqu'au podium où l'opération Croisements fut officiellement lancée et présentée ainsi que les stars encensées en un incontournable exercice de style. Et Juliette Binoche, visiblement très heureuse d'être là, prit la parole à l'heure d'un grand événement de la culture française en Chine en… anglais.
Je ne croyais pas être à ce point d'actualité en distinguant mondialisation et globalisation quelques heures avant d'assister à cet exemple caractérisé d'américânerie totale dans un contexte qui l'excluait pourtant par essence. Oh, ce ne fut pas très long… Quelques minutes très souriantes disant l'amour de la Chine à travers un grand-père communiste et une soif enfin étanchée de voir des vrais communistes ainsi qu'un vif intérêt pour la médecine naturelle et l'acupuncture. Très légèrement, tout en humour et large sourire radieux. Et puis… Thank you very much comme un signal pour la poursuite lumineuse qui pouvait reconduire Miss Binoche et son équipe rapprochée jusqu'à la sortie. La star fut alors officiellement remerciée pour sa prestation dans la même langue de Shakespeare, un peu comme si un virus avait foudroyé Littré et Grévisse en quelques minutes. Il me faut admettre un choc certain, pas véritablement une hébétude, plutôt une ulcération mal venue en ces lieux de consensus… global. Alors que le happening gastronomique dévoilait une séduction épicée, je maugréais sans écho. Faisant glisser la pilule amère avec du vin australien, j'errais quelques temps en terra incognita, ni en Chine, ni en France, pas en Angleterre non plus et en Amérique moins encore, juste dans un nowhereland peuplé d'environ 300 personnes francophones dont une traductrice interprète qui n'eut pas le loisir d'exercer son talent. Les serveuses de soie rouge tendaient leurs membres et leurs courbes hérissés de petits-fours… Très joli, très appétissant, mais, même en envisageant tous les extrémismes possibles, je ne parvenais pas à imaginer Gong Li en train de parler anglais dans une ambassade chinoise! Des mains tendant un pic garni de charcuterie fine surgissaient des trous pratiqués dans la très grande table, un immense caisson blanc dans lequel une dizaine de volontaires (Chinoises étudiantes de français) passèrent la soirée… Je n'étais donc pas le plus mal loti et l'ambiance devenait de plus en plus chaleureuse, reconnaissante du luxe auquel elle était conviée, de Champagne en délicieux canapés. C'est dire si mes remarques désobligeantes quant au cocufiage de Molière en direct live furent mal accueillies… En substance: Oui, oui, certes, bon, c'est une star internationale, hein, bon, tout le monde a compris ce qu'elle disait, c'est évident, ça va pas mon p'tit vieux?, faut vous détendre, là… Il est probable que mes interlocuteurs n'avaient pas cours le lendemain face à des étudiants chinois pour qui la langue française est souvent un deuxième ou troisième choix. Il est à craindre également que d'un point de vue culturel, le français ne soit même plus envisagé comme langue de communication. Ce qui ne facilite guère le discours pédagogique du langage en tant qu'élément déterminant d'une culture vivante et inversement. Confronté aux académismes dramatiquement archivés chez Daudet, il faudrait donc leur dire à ces étudiants que "la plus belle langue du monde", même dans un îlot consulaire, même lors d'un événement culturel national, on ne la parle plus… Je n'ai pas eu le courage, j'ai fait cours sur les haines d'écrivains, Hugo versus Sainte-Beuve, etc, un excellent article de Jean-Paul Enthoven paru dans Le point du 8 janvier. Pour aborder l'actualité, j'attendrai que le français redevienne à la mode et que les Français ne se sentent plus obligés de montrer qu'ils parlent enfin l'anglais. Une prochaine incarnation peut-être…
Photos: O.D.

mercredi 25 mars 2009

Mondialisation ou globalisation, c'est toute la question

On pourrait lancer un grand concours photo qui présenterait différents centres urbains du monde rendus totalement anonymes, inidentifiables, par la globalisation. Hormis ceux qui passent régulièrement par Huai Hai zhong lu/Shanxi nan lu, qui peut dire où cette photo a été prise? Italie, France, Mexique, Russie, Corée du sud? Certes, l'angle naturel de vision est plus large que cette photo (1) mais celle-ci est tout de même plus grande qu'un timbre-poste! Et il faut très largement agrandir le cadre pour retrouver la Chine et Shanghai (4)…
Et il ne s'agit aucunement d'une spécificité shanghaienne! Le monde est désormais globalisé au détriment des cultures rangées au rayon folklore et tradition. On ne s'étonnera donc pas d'un très net regain des conservatismes… L'équilibre du déséquilibre est à ce prix. Les équipementiers sportifs mènent la danse et leur grand-messe olympique tous les quatre ans n'est même pas le moment de s'interroger sur cette globalisation de l'image, du vêtement, du désir, sans la moindre considération pour les cultures spécifiques. S'il s'agissait de mondialisation, les signaux conserveraient leur identité!
Par mondialisation, nous pourrions imaginer une translation généralisée des savoirs et des connaissances, un partage multidirectionnel des spécificités, rendus possibles par les échanges commerciaux dont profite, dans tous les sens du terme, l'homo modernicus. Tout au contraire, l'agressivité du marché et de sa communication est telle que même un autiste comprend que de mondialisation il n'y a et n'y aura pas. Nous vivons une situation inédite: le monde est peuplé d'un peu plus de 6 milliards d'individus, dont 5,5 de faux américains! La culture globale est celle de la NBA et de L'Oréal! Dans le même temps, l'usine du monde qui fabrique les biens de consommation assurant le règne de la globalisation est en Chine. Et cette Chine, bien heureuse et on peut le comprendre d'enfin tirer les marrons du feu, ne produit ni ne propose pas grand chose d'un point de vue culturel et contemporain qui puisse nourrir, alimenter, culturellement le monde. Le marché est roi, vampire, une hydre tentaculaire qui phagocyte les consciences dans un maelström indifférencié où l'identité se perd, se réduit à un code barre égaré dans l'interminable liste des angoisses existentielles savamment utilisées par la publicité. Et ce ne sont pas nos gesticulations nationalistes compensatrices de l'égarement qui nous ramèneront sur le chemin de la raison.
Il serait grand temps de produire du sens mais il semble que la manipulation globale du phénomène crise nous éloigne encore davantage de ce genre de considération. La peur est instillée dans tous les discours, les prétextes à stigmatiser l'autre en tant que responsable de tous nos maux se multiplient jusqu'au délire. Hier soir, j'ai répondu jusque très tard aux commentaires d'un article de rue89 évoquant un possible boycott des entreprises françaises par Beijing… Ces crispations réciproques proviennent directement du cauchemar de la globalisation. La mondialisation, au contraire, créerait une dynamique culturelle déterminant des équilibres conjoncturels, à l'opposé des fantasmes paranoïaques qui pullulent dans la jungle globale.

http://www.rue89.com/chinatown/2009/03/24/pekin-a-t-il-decide-un-boycott-des-entreprises-francaises

Photos: O.D.

dimanche 22 mars 2009

YAN Lianke, de la censure au prix LU Xun

Étonnant parcours que celui de Yan Lianke, 50 ans, qui vient de recevoir le prix Lu Xun pour Les jours, les mois, les années. Paysan éduqué à l'armée, il avait fait preuve jusque là d'une audace de romancier que l'on imagine guère possible en Chine. Servir le peuple et Le rêve du village des Ding ont été censurés dès leur sortie, en 2005, avant d'être imprimés à Taïwan et Hong Kong pour mieux revenir en version pirate. Le premier cité raconte l'histoire d'un jeune militaire affecté au service de la femme d'un colonel impuissant. Servir le peuple sera pour lui l'occasion d'une initiation sexuelle d'autant plus subversive que le plaisir du couple adultère est décuplé par la destruction de tout ce qui dans l'appartement se rapporte à Mao, des statuettes aux affiches en passant par les pages du petit livre rouge. Le second va moins loin dans la symbolique mais plonge dans les ténèbres interdites en mettant en scène un petit village du Henan ravagé par le sida, cet énorme scandale toujours officiellement inconnu.

Autre opus, mais qui n'est pas encore traduit en français, Élégies et intellectuels critique ouvertement l'inaction des intellectuels, attentistes, fatalistes, réduits au silence par une censure qui a changé de visage pour prendre celui que l'on connaît bien en Occident: les honneurs accordés au contestataire et qui le font changer de camp – passer à l'ennemi en quelque sorte. Rien n'est plus mal vu que de mordre la main qui vous nourrit, du pôle nord au pôle sud et même en passant par la Chine. Ce n'est pas pour rien que les universitaires de Beida ont très mal réagi à la publication de ce roman. Hélas, il semblerait que le piège vienne de se refermer sur Yan Lianke…

J'ai déjà abordé un aspect du sujet dans De l'usage des hommes de l'être à propos de la récupération des grandes figures littéraires par leur "pays éternellement reconnaissant", etc. L'aspect contemporain du même sujet n'est pas moins pervers: primer un rebelle, un opposant, c'est vraiment lui jouer un sale tour! Encore faut-il que l'écrivain écrive quelque chose d'acceptable… Avec la pire meilleure volonté du monde, impossible de récompenser Yan Lianke pour Servir le peuple ou Le rêve du village des Ding! En revanche, s'il écrit Les jours, les mois, les années, c'est à dire l'histoire d'un vieil homme solitaire accompagné d'un chien aveugle dans un village anéanti par la sécheresse, là, il y a moyen de faire quelque chose pour/contre lui…

On le voit, écrire et publier est une affaire d'autant plus complexe qu'une police du verbe veille. L'auteur n'est plus uniquement absorbé par son travail mais aussi par une somme de calculs très aléatoires pour déjouer ou jouer avec la censure. Quel est exactement le calcul de Yan Lianke et de ses censeurs embaumeurs? A-t-il écrit un roman au thème passe-partout en visant ce prix Lu Xun qui le rend désormais presque intouchable? A-t-il répondu à de quelconques promesses de gloire, de paix, de confort? Est-il à son insu une exemplaire démonstration d'assouplissement? Dans une interview à rue89, au mois d'août dernier l'auteur déclarait: "Il n'y a pas de pensée indépendante en Chine. Les écrivains sont dans le système, et donc il n'y a pas besoin de censure visible, ils savent tous où sont les limites, c'est une censure invisible..." Dans cette même interview, il se souvenait de son premier livre censuré, en 1994, et des six mois de rédaction d'autocritique quotidienne qui suivirent. En 2004, l'interdiction de Servir le peuple ne suscita que des pressions sur l'éditeur et une interdiction de publication officielle qui, comme toujours, fut allègrement contournée. La censure évolue donc vers plus de subtilité, davantage de manœuvre et moins de brutalité, et c'est une bonne nouvelle. La question reste cependant posée: Yan Lianke conservera-t-il son pouvoir de dénonciation et d'opposition? A l'évidence, il n'est plus seul à détenir la réponse. Le thème de son prochain roman et le sort qui lui sera réservé nous renseigneront sans ambiguïté.
Photo: Pierre Haski/rue89

samedi 21 mars 2009

"Aimez-vous les uns les autres!"

Les propos du pape catholique concernant l'usage du préservatif sont extrêmement choquants. L'option retenue est celle de la mort, une mort religieusement méritée pour avoir péché, mon frère, ma sœur. Une mort dupliquée en quelques dizaines de millions d'exemplaires à travers le monde. Ce personnage pathétique est malade, entre névrose et psychose il crée sinistrement la catholicose!

Il faut songer un instant aux millions de dollars dépensés en campagnes de prévention qui ne ramèneront certes pas les millions de morts de cet holocauste. En quelques mots, le maniaque sénile confine ses brebis à l'obscurantisme dont il ne souhaite pas les voir sortir, les enfonçant au contraire dans le délire biblique de sa dictature morale, tellement loin d'une quelconque spiritualité. Le difficile travail de terrain des ONG mais aussi des gouvernements (du moins ceux qui ne détournent pas les fonds) qui se battent contre le fléau entretenu par l'ignorance et la misère, le serial killer du Vatican s'assied dessus. La bave aux lèvres et l'œil éteint, il est persuadé d'avoir ainsi œuvré dans l'intérêt d'un monde de pure chasteté hors le mariage sanctifié en tant que centre de reproduction. Faut-il ne rien connaître de la nature humaine! C'est très littéralement ce que l'on peut appeler de la mauvaise foi! Pour tout être humain sain d'esprit, banaliser l'usage du préservatif par tous les moyens, y compris publicitaire, est une entreprise de santé publique au sens le plus large. Pas pour les intégristes catholiques qui, pour s'approcher de leur pseudo esprit saint, renoncent donc à être sain d'esprit. On peut les plaindre… Ainsi confrontés à une propagande criminogène à l'échelle planétaire, ils doivent se sentir très étrangers à tout humanisme. Mais l'humanisme chrétien d'un Pic de la Mirandole ou d'un Teilhard de Chardin est-il encore le propos pour l'occident catholique?

La sentence anti-préservatif, remède soudain devenu par le biais d'un sophisme aberrant la source du mal, n'est en effet pas la seule manifestation de cet esprit dérangé. Que penser en effet de l'excommunication prononcée à l'encontre de cette fillette sud-américaine de neuf ans enceinte de son violeur de père? Selon la loi vaticane dont le sbire irrévocable est le fervent zélateur, la gamine aurait dû porter et accoucher plutôt qu'avorter! Ce sont elles et sa mère les criminelles, pas le père! Au nom de quelle foi peut-on ainsi bafouer les principes élémentaires du bon sens universel?

On ne sait plus à quel degré ni à quel registre la calamité catholique entend se limiter puisque leur saint patron vient également de réintégrer en son sein un évêque précédemment exclu pour négationnisme. Le ponte n'a en rien renié ses convictions réfutant l'extermination de six millions de Juifs par les nazis, seul le pape a changé…

Il est bien évident que les extrémistes religieux des autres confessions ne sont en rien excusés par la surenchère catholique papale. Comment cependant ne pas s'inquiéter de cette dérive alors que l'on voit le Président américain prêter serment sur une Bible, que la monnaie de ce pays affiche In God we trust, que l'on voit le Président de la France aller s'agenouiller devant cette caricature de spiritualité mais néanmoins représentante officielle de cette religion? A quelle crédibilité l'Occident peut-il encore prétendre quand les prises de positions du Vatican ne déclenchent qu'un vague débat populaire et aucune réaction officielle, ni aux États-Unis ni en France? Comment justifier qu'aucune plainte ne soit déposée contre ce dangereux maniaque? Si le combat pour les droits de l'homme et les libertés dans le monde a encore un sens, d'une manière ou d'une autre, ce vieillard cacochyme doit être condamné sans ambiguïté par les nations dont la culture est fortement influencée par cette religion.

mercredi 18 mars 2009

Séance de rattrape âge...

Nous nous attendions donc hier soir à entendre parler de la psychanalyse en Chine, à tenter de saisir le regard décalé d'un Français qui pratique la Chine depuis plus de vingt ans – si j'ai bien compris, en passant directement de Hong Kong à la campagne profonde. Pourquoi avons-nous été déçus? Pourquoi n'a-t-il pu exprimer quoi que ce soit d'audible? Lui qui prétendait jeter un pont entre les continents et les cultures est tombé dans l'eau sans même parvenir à éclabousser les auditeurs des deux rives atterrés par sa déconvenue.

Pour répondre à la question d'un jeune homme qui a fini par quitter la salle, il va nous falloir sensiblement élever le débat. La question était: "Comment on fait quand on va en France et qu'on se fait agresser sur le mode: 'C'est quoi votre pays? Pas de droits de l'homme, pas de liberté d'expression, bref, une dictature!' Qu'est-ce qu'on peut répondre aux Français qui nous disent ça?" La langue du conférencier à ce moment n'était même pas de bois, c'était du plomb! "Vous pouvez dire que si vous viviez une dictature, vous n'auriez pas la possibilité de venir étudier en France…" Je ne réussis même pas à en rire… De tous temps et de tous horizons, n'importe quelle dictature ou groupe terroriste visant le renversement d'une dictature avant d'à son tour devenir dictateur, n'importe quelle fils ou fille d'une nomenklatura autant éloignée du principe démocratique que faire se peut, est allé étudier aux Etats-Unis, en France ou en Angleterre. Les fils de Khadafi en France et en Suisse, la famille du Shah d'Iran en Floride, la famille Ben Laden tranquillement installée à Washington pendant que les avions détournés par Oussama se plantaient dans les twin towers, etc, etc. La réponse de l'homme d'expérience est donc vide de sens. La pensée reste au ras des pâquerettes, engluée dans les apparences montées en épingle par les médias et les propagandes, elle est comme pétrifiée par la peur de dire… Mais de dire quoi?

Si l'on prend la psychanalyse comme référentiel, on peut dire par exemple que le grand décalage qui sévit entre la Chine et l'Occident (terme on ne peut plus réducteur puisque, à ma connaissance, l'Australie et le Japon n'en font pas partie) provient d'un rapport inversement disproportionnel du surmoi et du Ça. L'Occident et ses libertés vouées au culte du Ça sont en panne de surmoi; la Chine sous l'emprise d'un surmoi tyrannique ne conquiert un soupçon de Ça qu'au travers d'un consumérisme compulsif. Comment faire cohabiter des fondements culturels aussi radicalement distincts? Comment cohabiter quand il est à l'évidence davantage question de s'opposer que de se comprendre? Et comment se comprendre mutuellement quand on ne se comprend pas soi-même?

J'emprunte à l'excellent essai de Bernard Stiegler, La télécratie contre la démocratie, une citation de Freud que lui-même emprunte à Schopenhauer:
Par un froid jour d'hiver, des porcs-épics, en compagnie, se serraient de très près les uns des autres pour éviter, grâce à leur chaleur réciproque, de mourir de froid. Bientôt, cependant, ils sentirent leurs piquants réciproques, ce qui de nouveau les éloigna les uns des autres. Mais lorsque le besoin de se réchauffer les amena de nouveau à se rapprocher, ce second mal se renouvela, si bien qu'ils furent ballottés entre les deux souffrances jusqu'à ce qu'ils aient finalement trouvé une distance moyenne leur permettant de se tenir au mieux.
Que l'on applique cette parabole aux individus ou aux nations n'altère en rien la pertinence de la démonstration: la cohabitation n'est possible que parce qu'elle est nécessaire, elle n'est réalisable que par ajustements successifs.

Or, le Chinois a besoin du Français et le Français du Chinois précisément parce que le fonctionnement de leur psyché diffère et crée ainsi un enrichissement potentiel dont il serait particulièrement débile de se dispenser puisque facteur essentiel de la compréhension du genre humain auquel tous deux appartiennent préalablement et in fine. Nous admettons donc ainsi être dans la culture et que la culture n'est pas une spécialité française mais une notion en permanente évolution relevant du genre humain. Sur cette base, nous pouvons envisager une discussion… Les agressions réciproques qui consistent à opposer un argument temporel à un fait historique et ainsi de suite jusqu'à épuisement des mémoires médiatiques est un cul de sac. Le conférencier d'hier soir a craint cet affrontement pour diverses raisons qu'il ne maîtrisait pas forcément et n'a pas su ou pas osé élever le débat autour du questionnement qui hante tant les jeunes chinois plus ou moins directement concernés par la France.

Le chapitre de l'essai de Stiegler auquel j'ai emprunté la citation s'intitule 27 – Identification collective et narcissisme de groupe. Il n'y a guère besoin d'explication, il suffit de voir ou d'imaginer une équipe sportive, ses supporters, un stade plein, une armée, des fidèles dans un lieu de culte, les employés d'une entreprise portant le même tee-shirt, etc. L'identification se fait par le groupe, tellement protecteur, rassurant, qu'on ne peut qu'en être épris et reconnaissant. C'est à dire que c'est un phénomène que l'Occidental connaît très bien mais qui, pour lui, s'apparente à un choix et non à un déterminisme. Or, être Chinois ne pouvant être un choix, l'Occidental se trouve désarçonné dès lors que le Chinois se présente en tant que "Nous, les Chinois". Cela lui semble aussi absurde qu'à un Chinois s'entendant dire, "Je suis Français mais je ne suis pas la France!". C'est à dire que la culture occidentale demande à rencontrer l'individu qui avance au chaud derrière un collectif en prétendant le représenter. Un Français ne sait pas que la Chine est peuplée d'enfants uniques à qui le droit de se penser unique n'est pas accordé… Là, oui, nous avons un vrai schisme et un élément de réponse pour le jeune homme. S'il refuse ou est dans l'impossibilité de se penser en tant qu'individu, que sujet, il devra répondre pour un milliard trois cents millions de personnes vivantes, plus encore de morts, et quelques régimes politiques passés ou présents. Voilà pourquoi on lui posera probablement la question qu'il redoute…

J'entends hurler ceux qui n'ont pas encore décroché… "Bon, okay, mais il est Chinois, il est comme ça! Alors, il répond quoi?"

Trois options…

Il est coincé dans sa condition, dans sa culture, fragilisé par son immigration, même temporaire, il aura du mal à s'en sortir autrement qu'en adoptant le discours officiel qui ne passera pas ou alors pour aboutir dans une impasse où la guerre d'Algérie ou la Corse répondra au Tibet, la collaboration aux droits de l'homme, la délinquance et les banlieues au militarisme, etc. La plupart du temps, les interlocuteurs des deux camps ne sont informés que par des médias qui se frottent les mains, et ne se défendent en fait que pour échapper à la terrible angoisse d'être seul. Et c'est ce besoin d'appartenance, naturel, puis culturel, c'est à dire la panurgie universelle qui est à l'origine des conflits, jusqu'au moment où les porcs-épics ont besoin les uns des autres – des bienfaits de la mondialisation… La solitude intrinsèque, initiale, ontologique de l'homme est probablement le plus grand défi qu'il ait à relever – à n'en pas douter, c'est le chemin emprunté par l'individu pour relever ce défi qui signe sa qualité et son inscription dans le monde.

Option de luxe pour individu évolué… Le jeune homme peut répondre par une autre question: "Et toi, tu es qui?" Il saura immédiatement s'il a une conscience en face de lui ou un argumentaire de supermarché, les droits de l'homme en bandoulière sans même savoir ce qui se passe chez lui. Pour oser cette réponse, il lui faudra non seulement une bonne maîtrise du langage mais aussi, mais surtout, avoir bien intégré les différents mécanismes énoncés ci-dessus, c'est à dire se documenter, se cultiver dans une optique non quantitative, mais tout simplement évolutive.

Troisième option (dite The funky option), sûrement très appréciée et beaucoup plus conviviale… "Oh, m'emmerde pas avec ça! Qu'est-ce qu'on boit?" Compréhension assurée mais ce ne sera que reculer pour mieux sauter: un jour ou l'autre, il faudra parler… Lors d'un cours, par surprise dans une soirée qui ne s'y prête pourtant pas, en mangeant une pizza devant un match de foot, on lui demandera d'où provient cette impossibilité à communiquer. Alors il faudra qu'il se demande vraiment, en son âme et conscience, aussi éloignées qu'elles soient de son ego, d'où il vient…

J'en ai déjà brièvement parlé à propos de Huo Datong, l'inconscient collectif (Jung) chinois s'oppose ici à l'inconscient individuel (Freud – Lacan) français alors qu'à l'évidence le second est un affinement du premier, une évolution obtenue grâce à ces fameuses libertés qui imposent tant de responsabilités… individuelles. Pour prendre une image très matérialiste, disons que l'inconscient collectif, c'est la banque, et que l'inconscient personnel, c'est la salle des coffres, des multiples petits coffres. Si l'on ne peut, pour tout discours que parler au nom de la banque, les petits coffres très préoccupés par leur condition demanderont à voir le directeur, le patron… Qui n'est pas joignable! Et si l'on demande l'opinion du petit coffre, il répondra en tant qu'élément d'un tout pointant les dysfonctionnements de la banque dans laquelle il vit, c'est à dire qu'il parlera du contexte déterminé dans lequel il est enraciné pour améliorer sa condition. Même dans les cas de patriotisme ou de culture d'entreprise aigu, il ne substituera pas le contexte de son identité à son identité.

Les trois glorieux penseurs de l'humanité évoqués plus haut sont morts et enterrés depuis quelques lustres déjà et, si leur œuvre considérable est à ranger au panthéon du génie humain, l'avenir qui commence évidemment aujourd'hui nous reste à inventer. Ce ne sera possible qu'en apportant notre pierre à l'édifice, certainement pas en attendant que d'autres le pensent puis le fassent pour nous. Que la tâche soit ardue n'est qu'un épiphénomène que l'homme de qualité ne prendra pas en considération. La différence et la méconnaissance ne seront jamais que des opportunités d'approfondissement de soi, c'est à dire d'enrichissement de l'intelligence. Qui peut prétendre s'en dispenser?

La Chine de papa

Dorian Malovic est un homme sympathique et affable qui parle d'une voix douce, il a le sens du merveilleux. Un déjeuner à la campagne, la rencontre de ses parents ou l'énumération du contenu d'une bibliothèque, sont énoncés avec un calme enjoué accompagné de gestes lents et rassurants. L'oeil est pétillant, l'homme cherche visiblement la complicité des enfants à qui il s'adresse… mais qui ne sont pas là.

En face de lui, un parterre d'étudiants, c'est à dire de jeunes et de moins jeunes adultes, qui écoutent patiemment une heure d'anecdotes et d'historiettes du temps de la Chine d'avant (1987), quand "il y avait deux monnaies, une pour les étrangers, l'autre pour les Chinois". En effet, le plat de résistance de la conférence aura été expédié en un gros quart d'heure… De Huo Datong, le premier psychanalyste chinois qu'il a interrogé jusqu'à en faire un livre de 180 pages, on apprendra qu'il est venu à Paris, qu'il ne s'est pas senti bien et qu'un ami lui a conseillé d'en parler à un psy… Et ce sera tout pour la psychanalyse en Chine! Il évoquera aussi un mystérieux personnage de sa connaissance, savant shanghaien hors d'âge dont la première langue fut le shanghaien (bigre!), la seconde, le français (ah, tiens...), la troisième le latin, ce qui signait donc le portrait du pape jaune à qui il a aussi consacré un bouquin mais dont apparemment il ne pouvait pas parler… Pourtant, l'audience avait compris de quel interdit il s'agissait puisque le nom du vieux sage lui fut demandé, mais il réussit à ne pas répondre. Nous voilà donc embarqué sur les chemins de rase campagne où, de cimetière en village, de tombes ancestrales en charmantes accompagnatrices, le temps passait très très lentement, un peu à l'inverse de ce qu'aura vécu la Chine dans cet intervalle de vingt-deux ans où Dorian Malovic semble aussi s'être endormi - au point de croire que la meilleure volonté du monde peut justifier un ton d'une telle condescendance.

Ce temps est révolu, les jeunes chinois posent des questions auxquelles ils attendent des réponses précises et qui font sens. Les plus évolués (qui étaient présents) ne sont plus tout à fait dupes des compliments sur le formidable progrès, etc. A l'évidence, Dorian Malovic n'était pas en situation ou en position de leur répondre. Toute en circonlocution vague et hasardeuse, sa conférence aura été un hymne à la langue de bois, à un politiquement correct tellement abyssal que les spectateurs tentèrent leur chance en lui expliquant ce qu'il en était d'être Chinois et d'aller vivre en France pour revenir et se retrouver dans un état d'inadaptation quasi totale. Même pas eu l'idée de rebondir sur la psychanalyse… J'ai même cru un instant que la conférence allait s'inverser, le public montant sur la scène et l'invité prenant place, seul, au milieu de la salle vidée…

La traversée du pont qui intitulait la conférence n'a donc pas eu lieu. Entre la congélation et l'encéphalogramme plat, la gêne visiblement ressenti par ce conférencier-journaliste à l'écoute de la problématique que tentait d'évoquer le public pose une question d'éthique: si la possibilité de s'exprimer clairement et librement n'est pas garantie, doit-on maintenir le principe d'une "conférence"? Dorian Malevic répond un OUI dont je préfère penser qu'il n'est pas le prétexte à un discours lénifiant bien rodé, d'une Alliance française à l'autre…

mardi 17 mars 2009

Mort d'un poète électrique

Alain Bashung est mort samedi d'un cancer du poumon, il sera enterré vendredi au Père Lachaise.
Peut-être était-il l'un des derniers grands musiciens, auteur-compositeur- interprète, moderne – je veux dire de ceux qui ont précédé le tout médiatique industriel. Rares sont les artistes dont la qualité créative évolue, ne se renie pas sans pour autant se dispenser d'écouter, d'entendre l'air du temps. De Play blessures à Osez Joséphine ou au sépulcral L'imprudence, on peinera à reconnaître Bashung tout en sachant que lui seul pouvait faire l'un comme les autres. L'ignorance dans laquelle il était tenu à l'étranger s'explique probablement par les textes de ces chansons/tableaux/nouvelles. Boris Bergman et Jacques Fauque, les paroliers successifs avec lesquels il travaillait dans une osmose très particulière, créaient un univers langagier renvoyant à toute sorte d'images et de jeux sur les mots au trois ou quatrième degré ("volutes partent en fumée", par exemple, que l'on peut méditer très longtemps…)… Quelques succès durables tels que Gaby ou Vertige de l'amour lui avaient assurer une reconnaissance populaire sans entacher sa réputation auprès des puristes et des exigences de tous bords. Si cela peut se concevoir, il est parti en beauté avec trois ultimes Victoires de la musique dont meilleur interprète et meilleur album de l'année avec Bleu pétrole, ce qui fait de son palmarès un record historique avec 11 Victoires de la musique sur l'ensemble de son œuvre. Si les Affaires étrangères et paraît-il culturelles faisaient leur boulot, le monde saurait peut-être que la France ne s'appelle définitivement pas Hélène… Histoire qu'Alain ne soit pas confiné à l'hexagone, le lien ci-dessous propose à mes amis chinois une chanson vieille de 18 ans (elle est donc majeure et autorisée!) et se veut une ouverture sur tout le reste, immense, que propose un artiste hors norme. A quand une thèse sur Bashung?
"Allez, salut, Alain! Je te devais bien ça…"

dimanche 15 mars 2009

"Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants" de Guo Xiaolu

Le titre est aussi racoleur que pertinent! Un dico ne sera pas de trop dans cet inévitable ménage à trois: le couple amoureux et le décalage culturel qui s'invitera à chaque instant de leur vie commune… Autant dire que ça commence fort pour approcher Xiao Lu 小櫓 (petite rame) qui brouille les pistes avec talent – son rapport au cheminement sur l'eau, probablement… Le livre dont il est question ici est important, mais peut-être pas autant que le parcours de son auteur. 350 pages de bonheur très paradoxal - à moins que ce ne soit la souffrance qui finisse par être une jouissance? -, chez un éditeur peu soupçonnable de complaisance sont un bon gage d'honnêteté, un passe, non pour la sainteté, mais certainement pour l'authenticité. Xiaolu est la réponse à To go or not to go, ce ne sont ni les trottoirs ni les universités de l'Occident qu'elle arpente, mais ceux de l'âme du monde que les cultures répressives semblent incapables d'appréhender en tant qu'entité… Xiaolu, comme tant d'autres, un pied à l'Est, l'autre à l'Ouest, a mal au cœur… Comment ne pas compatir, comment ne pas s'agacer? Qu'y a-t-il de si extraordinaire à être Chinoise, Irlandais, Bengali, Turko-Moldave?
Imaginons un type… Bon, d'accord, une jeune femme! Son père est français, lui-même de parents corse (père) et breton (mère). Il tombe amoureux (figure de style) d'une jeune femme d'origine maghrébine… La jeune femme en question est donc née de cette union que l'on projette heureuse sur le plafond noir de nos nuits blanches… Elle fait comment, cette jeune femme? Quelle culture? Quel dialecte? Qui est le Kong Zi de son univers? Mei you dan wei! Et pourtant, la vie!

Petite rame est une grande passerelle… Les jeunes femmes chinoises y trouveront le relevé des désillusions et incompréhensions qui les guettent à l'étranger, dans l'étranger, avec l'étranger, bref, au cœur de l'étrange! Pour les aliens tentés par l'aventure de la vie en compagnie des interdits et des obligations bétonnées, l'honnêteté de Xiaolu fera gagner beaucoup de temps!

"Je ne retournerai peut-être jamais en Angleterre, le pays où je suis devenue adulte, le pays où je suis devenue femme, le pays où j'ai été blessée aussi." (p.328)

On rit, on sourit, on apprécie aussi le tour de main, la capacité à restituer l'évolution du langage et de la compréhension de ce qui entoure l'héroïne/auteur d'une aventure si banalement humaine que l'on se demande ce qui peut générer un tel malaise récurrent, permanent. Le talent de Xiaolu, c'est de légitimer ce que l'Occident ne comprend pas: la puissance d'un formatage qui n'est pas politique, ou alors indirectement, mais tout simplement culturel, familial, éducationnel – nombreuses évocations de l'éducation des petits maîtres, ces géants de l'enfance…
Selon diverses fiches d'éditeurs, Xiaolu Guo est née en 1973 dans un village de pêcheurs du sud de la Chine. Elle se partage aujourd’hui entre la littérature et le cinéma. Premier Prix du Festival de films de femmes de Créteil en 2007 et prix du jury au Festival du film international de Fribourg pour How is your fish today ?, elle a surtout publié deux romans en français : La ville de pierre (Picquier, 2003) et Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants (Buchet/Chastel, 2008). Romancière, poète et réalisatrice, Guo Xiaolu, donne à voir la Chine à travers des documentaires comme The Concrete Revolution, sur les transformations de Pékin. À travers l’écriture et la réalisation, Guo Xiaolu explore les distances entre le monde intérieur et la réalité, et offre, à travers l’art, chaleur et force à une humanité qui selon elle réclame amour et contact émotionnel.
Inutile d'ajouter quoi que ce soit pour comprendre que l'accès aux sites personnels de l'auteur n'est pas possible…

Les bons contes font les bons zamis

Un vendredi 13 glacial est un contexte idéal pour créer un conte en quatre heures quand on est cinq (2 lycéens français et 3 étudiants chinois) par équipe et que l'on ne se connaissait pas une heure auparavant… C'est dans le cadre de la semaine de la francophonie que l'Université de Fudan a donc accueilli dix équipes sélectionnées par le service universitaire du Consulat de France qui organisait ce concours dédié au langage, à la créativité et à l'imagination. La compétition a révélé de belles plumes et plus encore de cette imagination que l'on ne trouve guère au pouvoir mais, avant d'en venir aux choix du jury, voyons comment ce très grand atelier d'écriture collective s'est déroulé.

Pendant quatre heures, les groupes de travail se devaient de créer un conte (merveilleux, fantastique, philosophique, et pourquoi pas les trois!) à partir de consignes simples: production de 4 recto A4 en respectant autant que faire se peut la langue de Molière, en faisant preuve d'imagination et en utilisant nécessairement une liste de 10 mots tels que Clair de Terre, compatible, génome ou transformer, qui étaient la garantie d'aller faire un tour assez loin de Shanghai… Effervescence phosphorique, échange culturel et creuset tant générationnel que globalisant, les productions ont jeté un pont sur le temps et par dessus toutes les frontières.

A 17h00, les copies furent ramassées via une clé USB et imprimées, dupliquées, en six exemplaires pour les membres du jury, déjà réunis dans les hautes sphères de l'université, au 15ème étage… En toute logique, c'était l'heure de la récré! Le consulat avait mis le paquet en invitant un groupe de musique brésilienne, The Universal Quartet composé de… trois musiciens! Aussi en cassant sa tirelire pour un buffet traiteur à 8000 yuans qui fut convenablement pillé en quelques minutes. Au trio quartet brésilien succéda un groupe du lycée français de Shanghai. Les cheveux poussent ces temps-ci et le vent souffle côté rock indie, résurgence punky, bonne volonté et les copains/copines qui sautent sur place au premier rang, bref, tutti bene et enchaînement avec un autre groupe, plus torturé, quelque part entre Radiohead et Portishead et sûrement beaucoup d'autres choses… Le jury composé de profs du Lycée français, des Universités de Fudan et de Sisu, et de l'équipe pédagogique du Consulat, pouvait réapparaître après lecture des oeuvres…
Le grand prix est allé à l'unanimité à l'équipe numéro 9 pour "Bleuvert", un conte très académique mais aussi étonnamment maîtrisé. Un grand-père raconte la vie du temps de la Terre à son petit-fils… Plus encore que le sac de livres reçu par chaque auteur en récompense, l'annonce d'une prochaine édition de ce conte par le lycée français – une édition possiblement illustrée – a été un vrai motif de satisfaction. Le prix du langage (richesse, style) est allé à l'équipe numéro 2 et enfin le prix de l'originalité à l'équipe numéro 8 pour un beau travail sur le double. Tous les textes avaient en commun de s'inquiéter très sérieusement de l'avenir du monde en tant que planète pourrie par l'homme…

La journée s'est achevée à 19h30… Jeunes français et chinois ont travaillé ensemble à Shanghai, écouté des Brésiliens et de la musique anglo-saxonne interprétée par des Français et un Allemand, ils ont surtout produit des textes qui ignorent résolument les frontières, valorisant ainsi une francophonie chinoise de l'ouverture au monde, on ne peut que s'en réjouir.
Photos: Émilie Zheng, Christelle Cheng, Natacha Bouchard (mais lesquelles?)
1 - Les heureux gagnants 2 - Ateliers de production 3 - Musique classique 4 - Jury + vainqueurs

samedi 14 mars 2009

Le zen du blogger

- Hé, au fait! Ça y est, j'ai vu ton blog!
- Ah, oui? Super… Ça t'a plu? Enfin, je veux dire, quelque chose t'a intéressé?
- Oh, oui! C'est vraiment très très bien! Non, sincèrement, hein! Je te dis pas ça pour…
- Bon, ben écoute, c'est gentil. Merci…
- Peut-être un peu long, par moments… Certains articles, euh, bon, c'est clair, on finit pas…
- Ah, bon, carrément?
- Enfin, le prends pas mal, hein! Mais, oui, prise de tête, quoi! Enfin, pas tous les articles! Y'en a deux ou trois, je sais plus les quels, ça se lit bien, assez vite…
- Ah, oui, le langage…
- Ben, c'est à dire que c'est… C'est pas le vocabulaire, tu vois! Avec un bon dictionnaire, on s'en sort… C'est plutôt comment les phrases sont construites…
- Euh…
- Quand je lis Maupassant, j'ai aucun problème pourtant! Mais tes trucs à toi, il faut que je m'y reprenne en plusieurs fois…
- C'est pas en fonction des sujets traités? Kristeva, par exemple…
- Oui, mais bon, c'est quand même toi qui les choisis les sujets…
- Sans aucun doute.
- Je me demande si parfois, faudrait pas oublier la Chine, prof, Shanghai, tout ça, quoi!
- C'est à dire un autre blog par un autre auteur, en fait?
- C'est vrai qu'il y en a des vraiment marrants, ou très simples, avec plein de photos sympas!
- Tu n'aimes pas non plus les photos du blog?
- Ah si si! Les photos très biens! Mais deux ou trois par long article compliqué, c'est pas franchement…
- Mais le diaporama? Plus de 60 photos!
- Le tout petit truc à côté du premier article?
- Oui!
- C'est sûrement bien mais on voit rien… C'est vraiment très petit!
- Tu n'as pas cliqué dessus?
- Euh, non...
- Tu cliques et les photos passent en plein écran…
- Sans déconner?
- Puisque je te le dis!
- Bon, faut que je retourne voir! C'est quoi l'adresse déjà?