mercredi 29 avril 2009

Parole d'homme


Le site Altermonde-sans-frontière met en ligne un poème de Leonard Cohen, chanteur Canado-américain d'origine juive qui eut son heure de gloire dans les années 70 pour son engagement contre la guerre du Vietnam. Le poème intitulé Questions au Shomrim s'adresse à l'organisation juive qui regroupe aux Etats-Unis les policiers et miliciens qui entendent assurer la protection des Juifs américains. Le texte dénonce la guerre, les guerres, Palestine et Vietnam, est évidemment valide concernant l'Irak malgré son antériorité, et se souvient de la fraternité au-delà des frontières…
Cette courte présentation pour rappeler une fois de plus qu'un homme ne peut être réduit à sa nationalité et/ou ses origines, que sa vision du monde ne regarde que lui et que ses convictions, quelles qu'elles soient, ne peuvent trouver refuge derrière un drapeau ou un troupeau. Le courage des braves qui se positionnent s'il le faut en dehors de la masse sourde et aveugle "se nomme aussi amour de leur pays, amour de la vie", comme le dit très bien Jean Dornac d'Altermonde-sans-frontière. Leonard Cohen n'est pas un saint, c'est un homme libre, ses écrits ont l'incomparable justesse de celui qui ne se préoccupe que du respect de la vie. Dès lors toute hiérarchie s'efface, l'homme parle à l'homme de l'homme…

Ci-dessous le texte en français suivi de la version originale en anglais:

Questions au Shomrim
Et mon peuple bâtira-t-il un nouveau Dachau
Pour l’appeler amour,
Sécurité
Culture juive
Pour les enfants aux yeux sombres
Brûlant dans les étoiles
Tous nos chants hurleront-ils
Comme les aigles enragés de la nuit
Dès lors que Yiddish, Arabe, Hébreu et Vietnamien
Sont un mince filet de sang qui marque le côté
De chambres métalliques innommables
Je te connais Chaverim
La jeunesse perdue des nuits d’été de notre enfance
Que nous passions aux coins des rues à découvrir la vie
Dans nos maigres connaissances de Marx et Borochov
Tu m’avais appris la symphonie italienne

Et le Nouveau Monde.
Et fait un sketch sur les enfants Arabes qu’on explose
Tu m’avais appris beaucoup de chansons
Mais aucune aussi triste
Que le napalm tombant lentement dans l’obscurité
Vous étiez nos héros chantants en 48
Oserez-vous vous demander qui vous êtes maintenant
Nous, toi et moi, étions amants autrefois
Car seules les nuits sauvages de lutte dans la neige d’or
Peuvent faire un amour
Nous marchions au clair de lune
Et tu me demandais de mener l’Internationale
Et maintenant mon fils doit mourir
Parce qu’il est Arabe
Et ma mère aussi, parce qu’elle est Juive
Et toi et moi
Pouvons seulement pleurer
Le peuple Juif doit-il
Construire aussi nos Dachaus ?

Léonard Cohen, poème des années 70



Questions for Shomrim
And will my people build a new Dachau
And call it love,
Security,
Jewish culture
For dark-eyed children
Burning in the stars
Will all our songs screech
Like the maddened eagles of the night
Until Yiddish, Arabic, Hebrew, and Vietnamese
Are a thin thread of blood clawing up the side of
Unspeaking steel chambers
I know you, Chaverim
The lost young summer nights of our childhood
We spent on street corners looking for life In our scanty drops of Marx and Borochov.
You taught me the Italian Symphony

And the New World
And gave a skit about blowing up Arab children.
You taught me many songs
But none so sad
As napalm falling slowly in the dark
You were our singing heroes in ’48
Do you dare ask yourselves what you are now
We, you and I, were lovers once
As only wild nights of wrestling in golden snow
Can make one love
We hiked by moonlight
And you asked me to lead the Internationale
And now my son must die
For he’s an Arab
And my mother, too, for she’s a Jew
And you and I Can only cry and wonder
Must Jewish people
Build our Dachaus, too ?

Léonard Cohen, poem from 70’s

http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article10405

mardi 28 avril 2009

Le temps des icônes

Je me suis arrêté devant le magasin en bas de Shanxi nan lu comme si un fantôme venait de traverser la vitrine. James Dean à Shanghai, je ne m'y attendais pas. La Fureur de Vivre - Rebel without a cause, au pays de Confucius et de la piété filiale, voilà qui mettait une claque supplémentaire aux présupposés que la douane de Pudong ne contrôle pas. Le tee-shirt affiche le visage en gros plan mais j'ai assez vu le film pour reconstituer le reste de l'image, la scène du duel au couteau, tenu haut, le rebelle prêt à bondir telle la bête fauve qu'il incarne. C'est à ce carrefour des années 50 que l'hormonale rébellion de la jeunesse est devenue fait culturel, objet d'étude, et de culte. Je n'étais pas encore né quand l'icône est morte, juste après le tournage du film, mais le blouson col relevé a traversé ma jeunesse comme un coup de couteau dans la France giscardienne. Depuis, on en a croisé quelques autres, VRP post mortem de la contre-culture, ils font tourner la boutique de la société du spectacle – la forme a pris le pas sur le fond, le symbole sur le sens, l'idolâtrie sur le contenu, etc. A Shanghai, on trouvait déjà, de Morrison en Hendrix, de Lennon en Cobain, quelques magasins spécialisés qui vendent à bon profit les vaines icônes issues de la mort nietzschéenne de Dieu et de l'Œdipe freudien, un James Dean grand public, contre toute attente, c'est nouveau. En l'absence tant de père que de repère, l'icône laïque et tragique, forcément tragique, a valeur de boussole dans un monde qui a perdu le nord pour mieux trouver l'est… en passant par l'ouest.


J'en ai d'abord parlé avec Xiangfei puis j'ai demandé aux étudiants. Réponse unanime: "James Dean, connais pas", Kurt Cobain, un peu plus, à peine, mais Hai Zi (1964-1989) poète suicidé en travers des rails où le conduisaient une réforme sans autre fondement que l'enrichissement symbolise parfaitement le désespoir adolescent, la révolte déchiquetée par la machine aveugle. Donc, pourquoi James Dean et pas Hai Zi? Peut-être parce que la société du spectacle ne fait que débarquer en Chine et que l'icône doit avoir été incarnée dans la société du spectacle avant d'être recrachée sous forme de tee-shirt. Le Che, mort en 67 et aussitôt récupéré, et ici toujours d'actualité commerciale, aura fait vendre des millions de tee-shirts sans le moindre rapport avec la révolution bolivarienne ni même assurer le succès du film de Soderbergh. Les critères d'admission à l'iconomanie sont simples: mourir jeune, beau, jusque boutiste, et qu'une image puisse prétendre à résumer l'ensemble. C'est ainsi que Rimbaud est entré en religion de surface par la grâce d'un graffiti d'Ernest Pignon-Ernest et de l'Éducation nationale: peu lu mais étudié, très peu lu mais très en vue, Arthur a été récupéré pour son regard de voyant incarnant LE poète, la Poésie. Mais toujours pas Hai Zi…


Je me souviens d'un vieil enfant français très appliqué sur le plan religieux qui, vers onze / douze ans, renonça au délire catholique pour progressivement se consacrer à la religion des tee-shirts. Plus tard, il dut passer par l'Orient pour retrouver le sens de la spiritualité qui était en lui. Aujourd'hui, je suis relativement en paix et en accord avec une métaphysique très personnelle dont ma culture d'origine m'avait privé. Il en va de même, me semble-t-il, pour les jeunes Chinois qui arboreront James Dean et sa fureur de vivre sans trop savoir de quoi il retourne. Il leur faut aller loin pour adopter des symboles générationnels qui, bien qu'étrangers, s'imposent à leur idéal d'une manière infiniment plus radicale et donc satisfaisante qu'un Jackie Chan qui, objectivement, ne répond à aucun critère. Et Hai Zi relève de l'interdit sur lequel veille Confucius et les gardiens du temple contemporain… N'est-il pas ainsi, a contrario des intentions, mieux préservé? En ce quinzième anniversaire du suicide de Kurt Cobain qui permet essentiellement à sa maison de disques de ressortir un énième coffret complet de l'œuvre, Hai Zi peut continuer de dormir tranquille et inspirer les jeunes lettrés en colère. James Dean se charge de faire tourner la boutique du consumérisme global made in China… En espérant que les clients atteingnent l'âge du sage.

"Il doit en être ainsi : idolâtre du geste, du jeu et du délire, nous aimons les risque-tout tant en poésie qu'en philosophie. Tao Te King va plus loin qu'Une Saison en Enfer ou Ecce Homo. Mais Lao-tse ne nous propose aucun vertige, alors que Rimbaud et Nietzsche, acrobates se démenant à l'extrême d'eux-mêmes, nous invitent à leurs dangers. Seuls nous séduisent les esprits qui se sont détruits pour avoir voulu donner un sens à leur vie."

dimanche 26 avril 2009

A la grande kermesse des maux

Il fait beau, ce qui l'air de rien est une info, d'autant plus qu'il n'y a rien de trop, juste de quoi plonger dans le frigo au retour d'une balade à vélo sans attendre l'apéro… Le fond de l'air est donc un peu frais, il n'y a rien de plus vrai aujourd'hui sous le soleil, juste de quoi rester en retrait comme si le moindre extrait de réel pouvait se résumer d'un trait… Enfin, on peut dire sans craindre le pire qu'une franche tranche de rire nous secoue en apprenant que les vampires transpirent… Et donc, en toute logique, il est l'heure d'un petit kaléidoscope psychotropique:

rue89 - Jackie Chan a réussi son oral de philo appliquée au business made in China en déclarant que "Nous, les Chinois nous avons besoin d'être contrôlés.", ce qui, selon les experts, résume bien ce que la classe dominante pense de la classe moyenne et des pauvres... Bref, au contraire du précédent, l'acrobate martial a gagné l'autorisation de diffusion de son prochain film dans le plus grand marché du monde.

Libé next - Elton John, Paul McCartney et Mick Jagger souffrent de la crise et y laissent quelques millions qu'on essaie désespérément de faire payer aux internautes et autres pirates – pas encore rencontré quelqu'un qui, dans ce domaine, ne soit pas passible de prison. J'abuse peut-être en établissant ce raccourci crise / hadopi mais la même notule de Libé signale que seule la petite famille Beckham n'est pas entrée en récession…

Libé - De passage dans un lycée, Sarkozy cartonne en philo en créditant l'effort en tant que vecteur de plaisir. Du cours de maths en tant que coït, de la moyenne arrachée de justesse en tant qu'orgasme? La récompense… A-t-on jamais vu une otarie faire convenablement son numéro sans la promesse d'une sardine? Après ce scoop psychopédagogique, le grand rival de Jackie Chan pour Les chiffres et les lettres lâche un second scoop tout aussi mémorable à des lycéens consternés: "La vérité, vous devez pas être bilingue, la vérité c'est d'être trilingue". Commentaire d'une lectrice de Libé: "En tant que prof de français, je constate que j'exerce vraiment un métier obsolète... Quel modèle donner aux élèves quand on a un président qui dit : "Y a quand même savoir parler français !"
Libé - Plus gênant, les porcs chassent le poulet au rayon virus mortel… Estimation personnelle: nous sommes à une génération d'un monde végétarien.
Nouvel Obs – L'Islande, 103 000 km² pour 320 000 habitants, vient de basculer à gauche. Deuxième pays le plus développé au monde selon l'indice de développement humain (IDH), l'Islande prend donc en charge un vieux rêve socialement égalitaire – jusqu'au moment où l'on constate que sa population équivaut à peu près à celle de deux ou trois universités de Shanghai…
nonfiction.fr – "L’Unesco et 32 institutions partenaires lancent aujourd’hui la Bibliothèque numérique mondiale (BNM). Ce site Internet propose librement et gratuitement des trésors culturels provenant de bibliothèques et d’archives du monde entier : manuscrits, cartes, livres rares, films, enregistrements sonores, illustrations et photographies. Les fonctions de recherche et de navigation sont proposées en sept langues (anglais, arabe, chinois, espagnol, français, portugais et russe), et les contenus en davantage de langues encore, car une des intentions du projet consiste à favoriser le multilinguisme. Organisée par lieu géographique, par période, par thème et par type de support, la navigation est aisée, les visuels sont de bonne qualité et le descriptif des éléments à la fois pédagogique et approfondi." Vieux débat, la question de savoir si le livre est mort n'a que peu de sens… En revanche, l'accès pour tant de lecteurs à la culture au sens le plus noble qui soit est indéniablement la meilleure info depuis très longtemps.

Courrier international (Time) – Le courrier rapporte un article de nos amis américains qui, comme le reste du monde, s'amuse volontiers de la marotte française pour la grève. Jugée culturelle et issue de 1789, "l'insurrection en réponse à l'adversité" a la capacité de s'adapter à son temps. Les récentes séquestrations de patrons ont été payantes puisque le nombre de licenciement a été revu à la baisse. "Pourquoi s'arrêter en si bon chemin?", conclut le magazine. Ben, oui, pourquoi?

Il était urgent de revenir au présent après avoir vu le superbement traumatisant Adam Resurrected de Paul Schrader. Jeff Goldblum est Adam Stein, clown de cabaret dans le Berlin des années trente. Un soir de spectacle, il humilie sans intention un pauvre hère, homme falot au bord du suicide… Il le retrouvera quelques années plus tard dans la peau du commandant Klein (Willem Dafoe) qui dirige le camp où il est déporté. Pour amuser son maître, il va devoir devenir un chien… De l'homme aux loups au trouble rapport qu'entretiennent dominants et dominés, en passant par l'enfance, la rédemption, le sexe et la psychanalyse, ses illusions et manipulations, de la culpabilité du plaisir au plaisir de la culpabilité, Paul Schrader à qui l'on doit les scenarii de Taxi driver et Raging Bull, mais aussi Mishima et Affliction derrière la caméra, entremêle ses thèmes de prédilection qu'ils jettent au gré d'un savant dosage de malaise et d'esthétisme dans une clinique psy égarée en plein désert du Neguev où tentent de se reconstruire les survivants fracassés de la Shoah. C'est un enfant-chien qui permettra le transfert réussi d'Adam (stupéfiant Jeff Goldblum) en acceptant de redevenir humain tandis que le psy restera impuissant… La résurrection d'Adam est bien celle de l'homme primordial, revenu de l'enfer où le pire l'aura déconstruit, avant de conquérir la douloureuse complétude de l'Adam kadmon cher aux alchimistes de la kabbale. Le film est tiré d'un roman de Yoram Kaniuk et Seymour Simckes.

vendredi 24 avril 2009

HOTTER THAN TEPPANYAKI

Hier soir et un peu plus tard au Logo bar de Xingfu lu, Hotter than teppanyaki avait pour mission d'exporter le monde et d'importer un fun post-idéologique. De planche à laver en yukulele, la bande des six ou sept des deux sexes ont multiplié les improbabilités comme un Lou Reed enfin drôle s'invitant chez Kusturica. Difficile de dire comment sonne ce bœuf mondialisant et si brûlant… Mais peut-être est-ce là l'une de ses principales qualités!
Hotter Than Teppanyaki, featuring...
Sandra - Trumpet; Germany; 37; Lector at SISU; in Shanghai since 3 yrs
Helena - Guitars, drums, ukulele, some vocals, bass; Spain; 31; Lector at SISU; in Shanghai since 3 yrs
Estel - Vocals, drums, guitar (kind of), accordeon, flute (old and new); Catalana; 25; Freelancing translator, interpreter; in Shanghai since 3 yrs
Dave - Vocals, guitar, drums; Britain; 42; Engineer (automotive industry); in Shanghai since 4 yrs
Zhanar - Keyboards; Kazakhstan; 36; Freelancing; in Shanghai since 3 yrs
Takayama - Bass; Japan; 33; Businessman and shops' owner at Taikang lu; in Shanghai since 10 yrs
Albert - Percusions; Catalana; 31; Engineer; in Shanghai since 3 yrs

J'ai connu Helena et Sandra lors d'un dîner de Noël offert à ses "experts" étrangers par l'université. Gros avantage de ce genre de manifestation, vers 8h00, c'est plié, on peut donc aller écumer de ci, delà, en l'occurrence et à l'époque sur Huating lu au Tang Hui désormais fermé, antre électrique gracieusement ou presque alcoolisée… Et puis, "Salut, ça va? / Hola que tal? / Zenme yang?" entre deux navettes infernales d'un campus à l'autre jusqu'au Noël suivant où nous nous sommes contentés de finir les bouteilles abandonnées par les convives qui avaient déserté les lieux. Jusqu'à lundi soir et l'invitation du président de l'université à penser l'avenir éducatif de la Chine tous en chœur, Sandra représentant l'Allemagne… "Hey, Olivier, come to see me and Helena on thursday night, we'll having a gig at Logo…" Le Logo? J'avais déjà oublié les quelques nuits passées là-bas, il y a fort longtemps, avec Xu Tao et Tom… Une autre vie, déjà? Encore? J'ai toujours été très encombré par le présent… Si l'on me demande depuis combien de temps nous vivons ensemble Xiangfei et moi, je réponds: "Euh, je sais pas… Depuis toujours…"
Je n'avais aucune idée de ce que j'allais découvrir sur ce bout d'estrade cernée par un monde entier ne globalisant pas forcément. Au-delà de l'ambiance plus cool c'est la lévitation, il était clair au milieu du nuage de fumée qu'il ne serait pas davantage question de brûlot incantatoire que d'hymne désespéré, juste une gentille faune de tous les âges et aussi peu de frime mais bien décidée à passer un bon moment sans réservation et à un prix décent pour les pas trop pauvres – entrée gratuite, 4€ le mojito. Pas de cerbère à l'entrée, pas d'obligation de consommer!
"Allô, la terre!? Ici Shanghai… On a un problème, on préfèrerait pas rentrer…"
Bref, un casting entre Lynch et Almodovar en stage au bout de l'univers s'empare de la micro scène en ordre très désordonné et Hotter than teppanyaki lâche le manifeste d'un autre monde. Original, le répertoire est pourtant connu de tous les copains de fac et d'ailleurs qui se retrouvent à célébrer un goût certain pour l'absence de barrière artificielle, officielle, circonstancielle... Les textes le disent, l'habituel et néanmoins truculent chauffeur de taxi shanghaien se trouve être le fils naturel de Brian Jones! Les instruments s'échangent comme si l'alternance faisait vraiment partie de ce monde, des gens dansent, les verres se vident entre Dylan revisité du fond d'une usine désaffectée mais affectueuse et le Velvet UnderPogues, et le credo fleure bon l'improbable. La palme à "Lazing around won't get thing done – but i like it!" Like it, like it, yes Ido… Une petite heure plus tard, il est temps d'embrasser ce petit monde apostolique pour le meilleur et pour le rire.
Prochaines apparitions:

May 9th - Anar bar, xingfu lu (xingfu lu tour)

May 16th - Logo bar again

mercredi 22 avril 2009

La grande illusion


Aux propositions faites par Hervé Kempf dans Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, s'opposent en toute logique la globalisation marchande, la surconsommation et ses apôtres. Plus ou moins bien intentionnés, les chefs d'États, les chefs d'entreprises, les chefs des médias, redoublent d'effets d'annonce alternant catastrophisme et promesses d'imminente embellie.

Sélection des titres du 21 avril 2009
Aujourd'hui la Chine
*En Chine, à la recherche des stations de sports d'hiver de demain
*Au salon de l'automobile de Shanghai, constructeurs chinois et américains en compétition
*Pour relancer la consommation, l'électroménager part en campagne en Chine
Le Monde
*EDF prépare un grand emprunt obligataire pour les particuliers (en chapeau: Le groupe d'électricité et les principales banques de réseau travaillent à l'élaboration de ce projet, qui ranimerait un marché déserté depuis le milieu des années 90)
*La bourse de Paris perd près de 4% (en chapeau: Francfort a cédé 4,07%, Londres 2,49%, New York 3,56%)
*L'Australie est entrée en récession (en chapeau: La route vers la reprise)
Libération
*Les Molex séquestrent leur patron
*Caterpillar: le protocole d'accord mal accueilli par les salariés
*Comment la lumière pollue l'agglomération (en chapeau: A 79 ans, Juliette est allée au Sahara pour revoir la voie lactée. Elle se souvient qu'en 1959, elle pouvait encore la voir de Saint-Genis Laval)
*Paradis fiscaux: Monaco espère quitter la liste grise avant la fin de l'année.
Eco 89
*Sony Ericsson va licencier 2000 personnes
On pourrait encore continuer longtemps sans même passer en revue la presse internationale…

Rien de bien étonnant à cette déjà vieille rengaine qui génère a contrario les analyses de Kempf (décroissance), Todd (protectionnisme mesuré), Stiegler (réorganisation / redistribution de la puissance publique) et de bien d'autres. La relative nouveauté (oct. 06), c'est que les habituels thuriféraires du marché à tout prix et à tous les prix ont trouvé leur saint, une sorte de Gandhi de la bourse, Muhammad Yunus. Le sujet n'est pas de savoir si cet économiste chevronné est sincère ou pas, si Stockolm a été avisé en pax nobelisant un "prêteur d'espoir", mais plutôt d'essayer de comprendre ce que signifie ce micro-crédit, semble-t-il appliqué avec succès.

Il n'est bien entendu pas question non plus d'ignorer la pauvreté, ni la petite ni la grande, pas plus que le légitime désir d'entreprendre. Il s'agit plutôt de situer les enjeux vitaux d'une telle démarche, ses conséquences à terme sur notre condition globalisée. La pauvreté fait peur, c'est humain, terriblement humain, et beaucoup plus vieux que la pyramide de Maslow, vieille has been d'à peine soixante ans. En revanche, si l'accès au sentiment de sécurité matérielle est légitime, son assimilation à un concept aussi vague, culturel, circonstanciel et historique, que le bonheur relève d'un colonialisme économique. Si l'on passe à l'accumulation de richesses en tant qu'ultime objectif existentiel paré d'universalisme, on bascule dans une pauvreté irrémédiable, celle de l'esprit. Ce que cette pauvreté a d'irrémédiable, c'est qu'elle entraîne la mort de l'humanité.

Tous les signaux sont dans le rouge et pas seulement chez Greenpeace! Du protocole de Kyoto jusqu'au très actuel Durban II, la richesse des uns est la pauvreté des autres et inversement… Dans un monde pré industriel de moins de deux milliards d'individus, la vaste jungle (fut-elle déjà partiellement bétonnée) dictait une loi masculine et patriarcale dont s'accommodaient les lutteurs, les tueurs et les malins. A l'orée du septième milliard d'individus dans un monde hyper industrialisé, chaque jour davantage dérégulé pour davantage de profit dont on regrette qu'il ne tuât pas davantage que le ridicule dont il procède, la nature se rebelle et menace l'espèce. Forée, excavée, pompée au-delà du supportable avant de recracher ses excréments dans son propre système respiratoire, la nature dont l'homme est issu menace d'anéantir aussi bien les lutteurs, les tueurs et les malins, que les saints boutiquiers du social business. C'est là où l'on se pince en se demandant si l'on n'a pas raté un épisode de cette série gore qu'incarne magistralement l'humanité.

Quel est le projet de Yunus? Réformer le capitalisme, aller Vers un nouveau capitalisme ainsi que le programme son livre éponyme paru en 2007 (Jean-Claude Lattès, 280 pages) et encensé par les grands médias traditionnels: "Son modèle, efficace et rentable, a été copié partout dans le monde, jusque dans les pays développés où les banques commerciales classiques rechignent à servir les plus démunis, malgré les pressions des pouvoirs publics et de l'opinion." nous dit Le Monde du 14 avril 2006 ou encore, dans La république des Lettres du 23 avril 2007: "Depuis la fondation de la Grameen Bank, il a lancé de nombreux autres projets en matière d'économie solidaire et de développement social, tels que entre autres des assurances maladies, des prêts aux étudiants et aux mendiants, la location de téléphones portables dans les villages (les "Grameen telephone ladies") ou encore, en association avec le groupe Danone, la distribution à grande échelle de produits laitiers auprès des populations mal nourries (les "Grameen Danone Food")." C'est dans ce généreux esprit qu'Antoine Reboux et Zinedine Zidane vont en tournée de promo du capitalisme pauvre au Bengladesh. Le Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) fait une toute autre lecture qui paraît pleine de bon sens, notamment en se demandant d'une part ce que Yunus fait de l'État et d'une autre quelle peut être la crédibilité d'un spécialiste ne proposant qu'un accès massif au patronat pour toute alternative au prolétariat. Il va encore plus loin en proposant la création d'une bourse sociale, d'un Social wall street journal, etc. C'est à dire, en fait, l'application généralisée du système des subprimes et des faillites boursières à toute la planète. Lève-toi, entreprends et consomme!, scande le Christ de Wall street. Tant que le système sera basé sur l'économie, nous serons condamnés à une relance incessante impliquant une surconsommation catastrophique. Si générosité il y a, ici, elle relève du terrorisme planétaire.

Selon la fondation David Suzuki, nous dépensons 35 trillions de dollars pour remplacer ce que la nature fait gratuitement pour nous, alors que toutes les économies réunies ne peuvent générer que 18 trillions de dollars. Dans le même ordre d'idée, James Woolsey, directeur de la CIA de 93 à 95, assure que les États-Unis empruntent 800 milliards de dollars chaque année pour financer leurs excès de consommation par rapport à ce qu'ils produisent. Un tiers de cette somme, environ 250 milliards de dollars par an, va à l'importation de pétrole, soit près d'1 milliard de dollars par jour pour financer ces importations. On comprend mieux, s'il le fallait, la guerre en Irak! D'ici le milieu du siècle, l'ONU estime à 150 millions, le nombre de réfugiés environnementaux en rapport avec diverses catastrophes climatiques. Et il suffit de considérer une élévation du niveau des océans de dix mètres pour devoir déplacer 65 millions de Bangladais, 150 millions de Chinois, 12 millions de Hollandais, etc., en sachant que l'arctique aura fondu d'ici quelques décennies. Stephen Schneider de la Standford University résume imparablement la situation: "Nous sommes trop nombreux à utiliser trop de ressources trop vite.". Et l'on pourrait poursuivre cette énumération du désastre humain en égrenant les interventions des scientifiques dans The 11th hour, le film produit et commenté par Leonardo di Caprio, réalisé par Leila Conners Peterson et Nadia Peterson. Kenny Aubusel, fondateur de Bioneers suffira pour conclure - sans même parler des océans ou des forêts - en assénant simplement et calmement que nous ne sommes plus que des consommateurs soumis au dieu économie et coupés de la nature qui survivra à nos déprédations – pas nous.

Il est extrêmement choquant que de G20 en "banquier des pauvres", la notion même de capitalisme ne soit pas remise en cause. Non seulement la perpétuation du pire est programmée mais elle est donc aussi étendue à toute âme qui vive ou survive. Satisfaire aux besoins élémentaires de chacun, quels que soient la culture et les convictions de celui-ci, est sans aucun doute possible l'un des rares universalismes défendables en terme de droits de l'homme. Il est cependant tout à fait irresponsable de continuer de produire pour produire, les biens accumulés et excédentaires que possèdent 10% de la planète seraient suffisants à sortir les 90% de pauvres du seuil de dignité sous lequel le capitalisme les a conduits. La faillite du politique a créé Muhammad Yunus et son populisme que l'on peut imaginer de bonne foi mais qui ne consiste qu'à faire grimper de pauvres gens sur une échelle dont ils devront sauter dans la fournaise… "[…] Il serait fatal pour le monde entier que le modèle industriel européen et américain se répande massivement en Asie sans que l'Occident, qui est encore en avance sur l'Asie, ait inventé de nouveaux modèles de croissance et de développement. Et cela signifie que faute d'une action collective, c'est à dire publique, à moyen et à long terme, permettant l'invention de ce nouveau modèle et l'installation de sa nouvelle dynamique, l'avenir est non seulement bouché, mais apocalyptique […]." conclut Bernard Stiegler dans La télécratie contre la démocratie. Nous n'avons pas d'autre issue qu'une maîtrise drastique de la consommation. Dans ce règne de l'avoir, il est plus que temps de réapprendre à être même après la fermeture des hypermarchés. Les solutions à la pauvreté ne sont pas financières, moins encore boursières, elles sont politiques. Il faut revenir à Jean Ziegler qui précise que l'effort ne peut être demandé aux pays émergeants. C'est aux pays riches d'assurer une redistribution des richesses plutôt que d'enseigner le consumérisme qui est en train de nous tuer. Et il n'est plus l'heure de se demander si c'est juste ou pas, utopique ou non, il en va littéralement de la survie de l'humanité.
Il est certes bien difficile d'être sans avoir le minimum mais efforçons nous de sortir de la facilité d'avoir sans être. Nous avons des comptes à rendre aux générations futures, pour l'instant ils sont truqués par l'illusion d'un consumérisme capitaliste indéfiniment renaissant de ses cendres.

http://www.cadtm.org/spip.php?article4228

mardi 21 avril 2009

A l'Est rien de nouveau

A l'est du reste du monde, pour essayer de comprendre on cherche des idées, des livres, plus ou moins philosophiques, des essais romancés ou des romans qui s'essaient à l'analyse, pro ou anti, parfois neutre, des images de tous les âges qui raconteraient l'histoire du mirage sans se limiter aux récits du carnage, sans non plus s'abstraire dans les hautes sphères de la pensée qui semble tant craindre la réalité. C'est un travail, un hobby, une passion, des études ou toute autre forme de nécessité humaine qui repose sur le vivre avec, vivre ensemble, précisément là où les lignes de résistance sont les plus tortueuses, coupantes, déstabilisantes. Une zone d'échange et de compréhension n'apparaît que pour mieux être contredite par son ombre portée, le langage s'effaçant derrière le signe, lui-même zélateur du symbole qui rappelle le langage pour signifier l'intraduisible de son mystère - carrousel d'impressions et de ressentis qui suggère autant de confirmations contradictoires qu'il en faut pour admettre que la certitude n'est pas de mise.

Au royaume des aveugles, le documentaire est roi. Il erre ce document à raison de vingt-six images par seconde sans que l'on sache si un autre sens plus pertinent, peut-être dévoyant les premiers perçus, n'est pas juste là, à la limite extérieure du cadre, ricanant de tant d'entêtement à saisir ce qui refuse de l'être. C'est ainsi que trente-sept ans plus tard, le film d'Antonioni ne révèle toujours rien. De la place Tian an men aux rues de Shanghai en passant par une césarienne, on aura noté par comparaison le formidable essor économique, la réussite technologique, la fin de l'uniforme généralisé et l'émergence d'une société plus civile, c'est à dire rien qui nous renseigne sur ce que signifie être, être ici, hier et/ou aujourd'hui. Peut-être n'est-ce pas là ce qu'il nous faut chercher. Peut-être doit on se contenter d'un surfaçage historique sélectionnant des visages – car bien sûr, il y a montage, il y a écriture…-, un sourire, une réprobation, une indifférence, alternés ou pas, vaine tentative de ne pas dire tout en disant. Il n'y aura guère que Jiang Qing pour décréter que le film est une trahison, un mauvais procès fait à la Nation. Au moins doit-on créditer Antonioni d'un honnête aveu d'impuissance puisqu'il conclut par le proverbe Tu peux dessiner le visage d'un homme mais pas son cœur.

Trente ans après Antonioni, Wang Bing livre neuf heures de documentaire exposant la fin de l'économie planifiée. A l'ouest des rails prend le rythme de l'agonie pour filmer le démantèlement de Tie Xie, gigantesque complexe industriel de Shenyang, au nord du pays. Les derniers hommes errent tels des fantômes dans une immensité désormais vidée de sens. Ils vaquent, se lavent, jouent aux cartes et, à la différence des figurants malgré eux d'Antonioni, parlent, espèrent, désespèrent, tentent maladroitement d'aimer, de vivre et survivre. On ne sait toujours pas qui ils sont. Au contraire, le mystère épaissit. Comment justifier tant d'absurdité? Une débâcle sans révolte, un naufrage en se brossant les dents… Que disent ces images? Que l'autre est celui qui vit tandis que nous ne sommes que celui qui regarde et que son agonie ne donne pas plus de sens à nos vies qu'à la sienne. Nous aurons vu son temps, observé, ausculté son drame sans comprendre comment il est parvenu à vivre ça, sans savoir ce que c'est vivre ça.

Sur encore un autre plan, puisque mêlant documentaire et fiction, mise à plat et théâtralisation, Jia Zhangke revient à la tristesse et l'hébétude des fins de règne. Du barrage des trois gorges au séisme de Chengdu, il filme une souffrance sans fin, sans fond, terrifiante et ordinaire - tristesse et nuage de poussière pour sécher les larmes d'un temps révolu, d'un temps sombre mais connu, qui s'efface devant l'inconnu. 24 city ou la naissance d'une nation moderne, impitoyable par nécessité auto-proclamée, montre l'artificiel humain de vies d'actrices en parallèle au réel inhumain d'ouvriers écartés, éliminés – ces deux mondes se croisent sans se voir, ne partageant plus que le rêve sécurisé d'un appartement dans le complexe 24 city qui va jaillir en lieu et place de l'usine-mère/matrice. Superbes images de solitudes dévastées sous un ciel qui fut bleu… C'est probablement là que naît le grand malentendu, dans la juxtaposition de termes incompatibles que tendent les images: une solitude dévastée ne peut pas être superbe, c'est l'image qui l'est. Pourtant, l'association naturelle achève le massacre de la réalité qui n'a rien de superbe, rien même de remarquable, et est donc très précisément tout ce que l'image ne peut pas montrer.

Circonstanciel, historique, temporel, conjoncturel… Quoi d'autre encore? Rien et c'est ce rien que ces trois films ont réussi à dire.

vendredi 17 avril 2009

Esprit, ouvre-toi!

C'est une directive nationale, universitaire, l'esprit des profs comme celui des étudiants doit être ouvert… Là, maintenant! Mais, c'est quoi un esprit ouvert? Comment prétendre qu'une espèce de césarienne cérébrale va accoucher d'un nouvel état, hors gestation, quasi-génération spontanée, opérationnelle et parée à affronter les intempéries d'un monde si redoutablement pluriel? Déclarer sa flamme, être éconduit: cauchemar narcissique! Alors, pas fermé à quoi? Ouvert à quoi? Eh bien, sans forcer sur l'arrogance, on peut parier sur l'autre, cet autre qui sommeille en nous, anesthésié par les artificielles spécificités culturelles… L'enjeu est donc l'altérité, comme dans un méchant sujet du bac.
En séminaire pour deux jours dès demain, puis invité lundi par le président de l'université sur le même sujet, il va falloir dire deux ou trois choses qui demandent autant de clarté que d'éclaircissement… Périlleux, non pas pour de quelconques motifs de censure, bien au contraire les intervenants sont conviés à s'exprimer librement, mais tout simplement parce que l'exercice paraît relever du paradoxe. Éléments de contradiction…
Alchimie complexe, de Confucius en Parti communiste chinois, de réformes en conservatisme, d'autoritarisme sourcilleux en capitalisme sauvage, la société harmonieuse redoute par-dessus tout le conflit, la dissension, la tête qui dépasse, l'oreille qui pointe. L'État-Parti édicte la très officielle pensée unique, garante de l'unité nationale, ultime rempart aux invasions barbares… Soit – certes pas un soit en forme d'accord mais en tant que fait accompli. Exprimer une divergence, quand bien même poliment, raisonnablement argumentée, est déjà au-delà de la bienséance, un embryon de terrorisme: s'opposer est un vertige, déclarer son insoumission au diktat des aînés / supérieurs s'apparente à une forme d'attentat suicide. Il serait aussi ridicule que vain, pour un étranger, de contester le bien fondé du schéma. Le système actuel fonctionne peu ou prou sur cette base, si chercher à le faire évoluer est louable, on ne peut imaginer plus contre-productif que de tenter de le détruire ou de lui substituer une quelconque autre forme de fonctionnement. Pour plus de clarté encore, notamment à destination des néophytes ou béotiens de l'enseignement très particulier du français en Chine (langage, culture, arts, utopies et démocratie appliqués à la mémoire des gaulois et autres Occidentaux morts au comptoir de leur psy!), quelques situations pédagogiques supposées révéler l'impossible (sauf exception) de la mission…
Laboratoire de langues:
"Tout le monde a compris?" Silence radio (sont-ils encore là?)… "Allô, la terre!?"
Des regards se croisent…
"Oui, vous! Que pensez-vous de…"
"Nous, les Chinois, nous pensons que…" Etc.
"Euh, oui, très bien et pourquoi pas! Mais vous, en tant que personne… Votre opinion sur le sujet?"
"Ben, pareil!"
Autre situation, moins caricaturale, le WaiJiao (prof étranger) n'intervenant pas directement… Un exposé, disons une présentation… Un étudiant lit son papier ou le récite par cœur si vous lui interdisez de lire. Le reste de la classe dort, envoie ou reçoit discrètement des textos, révise très à l'aise un prochain cours, d'anglais, d'économie, de coréen, mais n'est en aucun cas concerné par l'exposition / présentation du sujet de l'autre: none of my business… Puisque je ne peux qu'être d'accord! De la même façon que le communisme chinois s'affiche capitaliste, l'individu de la société harmonieuse ignore son voisin tant qu'il ne lui est pas utile. C'est très officiellement pragmatique…
En Master, l'an dernier, il nous aura fallu quelques cours pour nous mettre d'accord sur la notion d'esprit critique… Quand nous y sommes parvenus, le premier semestre était terminé. L'autre avait au moins obtenu droit de cité… L'intrus version Jean-Luc Nancy pouvait s'inviter dans le cours et, pour quelques-uns, renvoyer le fantôme de l'envahisseur… Dans le meilleur des cas, la greffe est temporaire, le temps du passage de l'étrange étranger… Pendant ce temps, Souleymane le magnifique, dans le Cantet socio-pédagogique, incapable de la moindre discipline, auto ou alter, se retrouve à la rue, exclu d'un système dont il est toujours resté à la porte…
Ce matin, après la fin de projection d'"Entre les murs", un étudiant de 2ème année interrogé via le casque / micro à propos des jeunes diables en situation d'échec…
"Je viens du Hunan, c'est déjà très différent de Shanghai. Là-bas, Confucius nous enseigne le respect total en cinq points dont le dernier concerne le professeur. Impossible de se comporter comme les élèves du film le font…"
"Selon toi, quel système est le plus performant?"
"A n'en pas douter, un juste milieu serait souhaitable…"
Déjà bien, non? 2ème année! Du top gamin ou je ne m'y connais pas! Oui, mais comment je fais pour qu'ils lèvent la main, qu'ils prennent leurs responsabilités, qu'ils assument de se tromper, qu'ils questionnent leurs erreurs et les miennes sans la moindre angoisse de perte de face? Quant à s'intéresser à l'autre, écouter et évaluer, éventuellement s'opposer, tenter de s'accaparer la vérité de l'instant…
Écolier des Lumières, je ne sais pas avancer sans débat, sans contradiction, à l'abri du péril intellectuel d'être contredit avec pertinence – ou sans! Descendant de Socrate, j'ai besoin de comprendre n'importe quelle situation après son passage au crible; enfant de Nietzsche qui m'a tant soulagé en annonçant la mort de Dieu, si je ne m'exprime pas, je meurs comme une plante ignorante de la photosynthèse. C'est de mes contradictions et de celles que le monde m'offre que je tire la substantifique moelle de ce qui constitue ma pensée – personne ne me dira jamais ce que je dois penser! Le monde et les individualités qui le composent, en revanche, m'aident à devenir qui je suis… C'est précisément l'anti-socratisme de Nietzsche qui me nourrit et me complète bien au-delà du système de l'un ou de l'autre! Je peux faiblir et l'ignorer, me réfugier dans le ventre mou qui vote en fonction des sondages, mais je ne peux pas taire ce qui me constitue – ou alors par calcul, par stratégie du libre-arbitre. Bref, cogito ergo sum! Et ça ne plaît pas toujours, pour ne pas dire jamais, à mes parents, mes profs, l'institution… C'est pourtant ainsi que je nais au monde. N'en déplaise à l'harmonie de surface, imposée…
"Alors, comment je fais, Monsieur le Président, pour ouvrir l'esprit de vos étudiants, pour les initier à la controverse, à une libre réflexion, hors laquelle ils ne peuvent poursuivre leur chemin qu'en reclus dans le silence bruyant et récitatif qui leur est prescrit depuis le CP, en dehors de tout élan individuel et donc de créativité personnelle? Comment fait-on, vous et moi, pour combler ce manque tragique pour le pays…?" Just let me know, I'm still on location, comme dirait Juliette Binoche.

mardi 14 avril 2009

Ce que l'homme veut...

Hervé Kempf, journaliste au Monde, fondateur du site Reporterre, est un expert en écologie qui ne se contente pas d'annoncer la fin du monde. Sa dernière publication, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, propose des solutions assez radicales et néanmoins tout à fait applicables. Pour ce faire, il attaque le mal à la racine en distinguant le libéralisme du capitalisme:
"Le libéralisme vise à émanciper les personnes des déterminations transcendantes et des sujétions définies par un statut acquis à la naissance. Il définit un mode d'organisation des pouvoirs dans la cité, découlant du principe selon lequel chaque citoyen dispose d'un droit légal. Celui-ci se traduit par la liberté d'expression et par la procédure de la démocratie représentative.
Quant au capitalisme, il désigne un processus historique qui se déploie depuis deux à trois siècles. Il arrive présentement à un état de suprématie sur les autres cultures où il manifeste ses plus extrêmes conséquences. Mais qu'est-il? […] On en trouve rarement une définition claire. Celle d'Al Capone, rapportée par Alternatives économiques, est sans doute la plus exacte: "Le capitalisme est le racket légitime organisé par la classe dominante." Mais la franchise d'expression de ce spécialiste pourrait nuire à la sérénité du débat, et je lui préfère une définition plus technique: le capitalisme est un état social dans lequel les individus sont censés n'être motivés que par la recherche du profit et consentent à laisser régler par le mécanisme du marché toutes les activités qui les mettent en relation."
(p.69)
C'est sur la base de ce distinguo que l'auteur établit sa chronique d'une extinction annoncée: poursuivre sur la voie de la globalisation du capitalisme et sa logique du consommer / consumer plus équivaut à l'annonce d'une prochaine disparition des espèces, la sixième du genre, la précédente qui emporta les dinosaures ayant eu lieu il y a 65 M d'années. Dans une vidéo (lien en fin de texte), il soumet aussi un chiffre à notre réflexion: il y a vingt ou trente ans, le salaire d'un patron américain était environ 20 fois supérieur à celui de ses employés; aujourd'hui, le ratio peut atteindre 150 à 200 fois plus! Ce grand écart entre hyper-riches et pauvres crée le déséquilibre paradoxal d'une super consommation accompagnée de pénuries. Pour les apôtres d'une technologie deus ex machina remédiant à nos exactions, précisons qu'Hervé Kempf a aussi été journaliste à Science & vie et qu'il ne croit pas plus aux capteurs de CO² qu'à un recours massif aux diverses alternatives écologiques. Son credo fait appel à la conscience, à une redéfinition de nos priorités.
"Nous voulons vivre dans une société qui suive d'autres règles que le capitalisme: qui veuille le bien commun plutôt que le profit, la coopération plutôt que la compétition, l'écologie plutôt que l'économie.
Dans une société qui pose la prévention de l'effondrement de la biosphère comme but de la politique humaine dans le demi-siècle à venir; qui affirme que la réalisation de cet objectif suppose la baisse de la consommation matérielle; qui conclut que cela ne peut être atteint que par la justice sociale.
Alors, comment fait-on? On pense autrement. On admet que ce que je crois être moi est largement une construction psychique conditionnée par mon héritage culturel et monétaire, que ma liberté est largement une résultante des interactions sociales, que ce que je pense est largement le résultat de ce que j'accepte d'entendre. On inverse le schéma si efficacement implanté depuis trente ans; en réalité, aujourd'hui, l'individualisme enferme, la solidarité libère."
(p.115)
Autant dire que l'on est mal parti! Hervé Kempf préconise un certain nombre de solutions de rechange que l'on connaît déjà mais non plus sur un mode marginal, au contraire en temps que système. Des Sociétés coopérative ouvrière de production (scop) nous écartant du capitalisme au système Linux, l'auteur nous renvoie à nous-mêmes, dans nos réflexes consuméristes comme dans nos fantasmes les plus variés. Pas le temps de conscientiser la catastrophe finale, la pub nous tient puisque nous créons la pub. Si le bonheur est toujours pour demain, l'ultime holocauste est donc pour après-demain! Pourtant, citant Patrick Viveret, il veut croire en un avenir possible: "Le risque écologique est pour l'humanité l'opportunité de se reconnaître, face aux logiques identitaires, une communauté de destin." (p.116) Oui, bien sûr… Comment ne pas souscrire? Et comment y croire? Notre supériorité dans la chaîne alimentaire nous a peu à peu conduit à ne plus nous considérer comme partie intégrante de la nature, à nous percevoir au contraire comme ses maîtres incontestés, incontestables. Une planète aussi corvéable que les hommes réduits à l'esclavage par les tenants du capitalisme auxquels Hervé Kempf consacre un court chapitre assez tristement jubilatoire, passant en revue la pensée creuse de l'oligarchie régnante, d'Attali à Allègre, en passant par Ferry, lors de conférences / débats organisés par divers fonds d'investissement.
Kempf écrit serré, sans pathos ni vitupération, menant son essai sans concession vers une conclusion ouverte qui ne laisse pourtant aucune place à l'atermoiement: "Si l'on ne parvient pas à imposer des logiques coopératives au sein des sociétés, l'évolution autoritaire du capitalisme le poussera à l'agressivité sur le plan international. […] Pouvons-nous éviter que les gouvernements capitalistes imposent une réponse autoritaire en tentant une "relance" aussi dommageable écologiquement qu'inutile? Je ne sais pas. Face aux sombres perspectives, l'heure des hommes et des femmes de cœur, capables de faire luire les lumières de l'avenir, a sonné." (p.134)
Il va nous falloir beaucoup d'énergie…

Hervé Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil 2009, 14€

http://video.google.com/videoplay?docid=5830897980457146059
www.reporterre.com

Du mauvais esprit des lois

J'ai arrêté de fumer depuis neuf mois et je me demande si je ne suis pas en train de faire une grossesse nerveuse rêvant d'accoucher d'une loi pro-tabac! Ce qui motive ce court billet sur l'esprit des lois, c'est le dernier post de Pierre Assouline relatant une aberration de plus au pays de la Liberté. Dans le cadre d'une exposition à la Cinémathèque consacrée à Tati, l'affichage réservé aux métros et bus lui a retiré sa pipe! Mr Hulot sans sa pipe! Il y a quelques années déjà, la clope de Lucky Luke était partie en fumée pour être remplacée par une brindille. Personnage en évolution essentiellement dévolu à la jeunesse, on pouvait comprendre. Pour ce qui est de Tati, l'affaire est tout autre! Elle se rapproche du timbre Malraux lui aussi privé de son mégot. Hommes de culture, hommes de lettres et d'arts, Tati autant que Malraux sont l'histoire, celle qui s'écrit avec un grand H pour le premier et une minuscule pour le second mais toutes deux relevant de la culture de la Liberté. Nous sommes donc, aussi futilement que ce soit, en train de réécrire l'histoire culturelle de la France en la privant de la liberté d'avoir été ce qu'elle était pour satisfaire à un principe de précaution au regard de la loi Evin. Quand le ridicule atteint la stratosphère, la contradiction perce la couche d'ozone! Tout à fait par hasard, j'ai vu hier une émission TV d'octobre 2008, Ce soir ou jamais, consacrée aux lois mémorielles, soit l'histoire officielle de la France selon l'Assemblée nationale, désormais interdite de contestation ou de relativisation. Pierre Nora, historien et membre de l'Académie française, en lutte contre ces lois mémorielles et grand défenseur de la liberté de l'Histoire, était opposé à Christiane Tobira, à l'origine du texte de loi qualifiant la traite négrière de crime contre l'humanité. Bien entendu, Pierre Nora ne s'oppose en rien à la reconnaissance de l'atrocité de la traite négrière. Alors de quoi s'agissait-il exactement? Ni plus ni moins de liberté d'expression. Spécialité française qui peut parler de colonisation positive (sic) ou encore mettre quarante ans à transformer la terminologie événements d'Algérie en guerre d'indépendance mais interdit et condamne (loi Gayssot) le révisionnisme patenté d'un Faurisson. C'est là où intervient le concept de liberté au sens le plus large. On se souvient du soutien de principe de Noam Chomsky (Juif dont la famille a été déportée et exterminée dans les chambres à gaz par les nazis) à ce même Faurisson et de la brouille tenace qui s'ensuivit et tient encore l'intellectuel américain à distance du pré carré des intellos français. Le leitmotiv de Chomsky s'en tient à Voltaire: "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites mais je mourrais pour que vous puissiez le dire!" La pathologie du négationnisme de Faurisson est avérée, la Shoah est un fait historique incontestable pour tout individu sain d'esprit – à quoi bon prononcer des condamnations? A quoi bon interdire et légiférer, encore et encore? Il est question selon Pierre Nora d'étendre la notion moderne de crime contre l'humanité aux guerres vendéennes, à la Saint-Barthélemy, et pourquoi pas aux Croisades, et donc selon ces projets de lois, de se retrouver en position de délinquant au moment de discuter de ces faits historiques, de revisiter leur interprétation. La notion d'État de droit prend ici des allures inquiétantes! Il est bien davantage question de la fabrique du consentement, autre mise à jour lumineuse de nos démocraties par le même Chomsky. A n'en pas douter, la cohérence du législateur va condamner les auteurs de la promotion de l'expo Tati et les responsables de la RATP pour révisionnisme culturel! A moins bien sûr que ces mêmes promoteurs culturels n'aient le droit de dire qu'Hiroshima n'était qu'un pétard à mèche lancé d'un deltaplane…

dimanche 12 avril 2009

Le casse de l'épargne

Silouane, dans son blog entre les livres, questionne le sens de l'épargne chinois. En admettant que le grand chantier de l'accès aux soins pour tous arrive à terme un jour, les Chinois injecteraient-ils leurs économies dans la société de consommation dont rêvent les Occidentaux? Il est ici question des Occidentaux qui perçoivent le marché chinois comme un eldorado, potentiel et à terme pour les plus prudents, ici et maintenant pour ceux qui vont repartir très vite. Effectivement, la santé est une préoccupation primordiale qui tourne à la psychose quand elle n'est plus assurée par une réserve substantielle en cas de coup dur. Sachant que toutes sortes de tarifs sont en vigueur pour une même consultation ou maladie ou intervention, le critère étant celui de l'attention que le médecin / chirurgien vous accordera en fonction de ce que vous pouvez payer, on comprend qu'un matelas de liquidité soit la seule garantie fiable. Silouane évoque aussi l'éducation, autre poste important du budget familial. Non seulement l'éducation est payante mais il faut aussi compter sur un bon guanxi (réseau / relation) très onéreux si l'on souhaite une 'bonne' école, lycée, fac, etc. Bien entendu, le stage à l'étranger, court ou long, est une autre dépense somptuaire – d'autant plus si l'étudiant vise une grande école de type HEC qui facture ses services à 150% du tarif normal pour les étudiants étrangers. Enfin, l'habitat et la quasi-obligation pour les parents d'acheter l'appartement pour l'enfant, celui-ci en retour prenant les parents chez lui quand sonne l'heure de la dépendance - ou plus tôt encore, pour s'occuper de la progéniture pendant que papa et maman travaillent.
La globalité de ce système tient bien sûr à l'absence de réelle couverture sociale, les maigres retraites, indemnités, assurances - quand elles existent! - étant sans rapport avec le coût de la vie actuelle. Le meilleur moyen de s'en sortir, c'est donc de satisfaire le premier palier de la pyramide de Maslow: c'est à dire valoriser le sens de la sécurité. On comprend mieux vue d'ici l'extraordinaire richesse que représente une notion banalisée en France, la sécurité sociale. Pour la génération de mes beaux-parents, "consommer" n'a pas plus de sens que "jouir de la vie", "philosopher", ou "être amoureux", toutes ces considérations oiseuses n'étant au mieux qu'une futilité, au pire une trahison, une entorse impardonnable à la piété filiale, piété familiale, une grave absence de sens de la responsabilité. Pour les nouvelles générations des grandes villes, peu à peu, les choses changent. Le pouvoir d'achat a sensiblement évolué ces dernières années et la séduction du consumérisme est très performante. Cependant, les secteurs évoqués par Silouane demeurent une jungle où la seule machette efficace est l'effigie de Mao sur les billets de 100 dupliqués autant de fois que possible. Donc, l'épargne encore, l'épargne toujours. Et quadrature pour un gouvernement et une économie qui, comme n'importe quel pays en situation de dépendance au marché, ont dramatiquement besoin d'une relance permanente, c'est à dire d'une consommation exponentielle, pour alimenter l'emploi et le profit ultra libéral. Comment faire?
L'une des solutions tient dans le petit morceau de plastique en illustration. C'est une carte de paiement d'une valeur X (500 ou 1000, en général) perçue à titre de prime et d'une validité n'excédant pas deux ans. Certaines de ces cartes n'étant valables que dans les magasins d'État de type Lianhua, on peut parler de protectionnisme. Elles sont pourtant plus généralement ouvertes à quasiment toutes les dépenses en magasin. Périssables, elles ne peuvent qu'être injectées dans le commerce et font ainsi tourner la boutique Chine. A titre d'exemple, un cadre sup de l'administration a touché une prime annuelle de 30 000 yuans en cartes. S'il est possible de les monnayer au marché noir à un taux raisonnable – une carte de 1000 yuans vendue 900/950 yuans –, l'illusion de ne pas dépenser en utilisant le morceau de plastique est aussi grisante ici qu'ailleurs! De là à acheter des produits étrangers, il y a un grand pas que seuls les Chinois ayant une expérience de l'étranger franchissent mais, le réflexe consumériste étant pris et désormais entretenu, de nombreux petits pas sont faits chaque jour.
http://silouane.blog.lemonde.fr/2009/04/12/quand-le-reve-rencontre-la-realite/

samedi 11 avril 2009

La réconciliation

Commentaires de tous les au-delà...

Bashung Alain (poète électrique)
"Vos luttes partent en fumée..."

Binoche Juliette (star internationale)
"Well, that's wonderful! I've always knew that the communists are totaly free to shake nobody's hand! (à part…) Nobody's hand ou The hand of nobody?"

Bové José
"Courbette transgénique!"

Céline Louis-Ferdinand
"Ah, regardez-les! Résidus de foutre intergalactique! Et pendant ce temps-là, le Gaulois, pendu par les bourses, il peut crever dans les tranchées du gangstérisme international!"

Chirac Jacques
"De l'arrogane à la repentance, il n'y a qu'un pas hahahaha!!!"

Daudet Alphonse
"Le franco-chinois est la plus pragmatique langue du monde."

De Gaulle Charles
"Qui sont les deux petits, à gauche?"

Dylan Bob
"And the answer my friend is blowin' on the web…"

Héraclite
"Pends ton maillot, gamin! Tu ne te baigneras pas deux fois dans le même Yangtsé!"

Kong Zi
"L'Empereur est respecté, l'autorité peut régner. La société retrouve l'harmonie."

Lao Zi (plombier)
"Pourquoi le deuxième faguo a l'air innocent?"

Liu Zhi Xia (marchande de fleurs)
"Sur la deuxième photo, c'est qui celui qui mange bien?"

Malovitch Doran (journaliste)
"Eh ben, voilà! C'est bien ce que je disais! En Chine, il suffit de rien dire pour se faire des amis!"

*Mélenchon Jean-Luc
"Je constate que tout le monde a oublié que je suis à l'origine de ce rapprochement sino qua non."

Montaigne Michel de
"La beauté de la taille est la seule beauté des hommes. Il semble qu'ici les gentilhommes chinois aient gagné sur ce point..." (contribution d'Anaïs)

Nietzsche Friedrich
"Du crépuscule des idoles à celui des pantins, demeure pour l'humain, trop humain, une méprisable disposition au sourire catatonique."

Obama Barak
"I'm very glad to see that the whole free world has understood that the prosperity of America is a key point of their own prosperity!"

*Palin Sarah
"All I know is that these two japanese folks look friendly, and I'm a huge fan of sushi."

Royale Ségolène
"Quelqu'un peut-il me dire ce qu'il faut penser de ça que je puisse dire le contraire?"

Socrate
"Tu dis donc que la main contient le pacte conciliateur. Explique-moi quel est l'écart entre cette conciliation et l'allégeance…"

*Vandamme Jean-Claude
"Cette réconciliation prouve que la sinité est une entropie nouménale astro-incandescente, méta-culturelle et néanmoins ahistorique, de type Oméga 3 et euh... anticonstitutionnellement, voire inversement."

Villepin Dominique de
"Il est très très petit, non?"

Yao Min
"Hhhuummmpppfff…"

Zheng Lin Yao (beau-père)
"Je suis content pour ma fille because ta shi fayu lao shi, so c'est hen hao!"

Zidane Zinedine
"Putain, donnez-moi les deux Chinois à la place de Materrazzi, la coupe elle est dans les quartiers nord!"

(*) Contribution d'un courageux anonyme
... liste ouverte ...

mardi 7 avril 2009

G20 ans et la haine de l'Occident

Bonjour Mesdames et Messieurs du G20Q les pauvres!

Je vous écris pour vous dire qui je suis parce qu'apparemment vous savez pas. Je m'appelle 1234567890 mais mes potes préfèrent Code 0 parce que je kiffe pas trop votre shitstem. Je suis du monde entier qui a plus ou moins vingt ans dans l'enfer que vous nous pondez tous les jours. Je me suis fait jeter du collège, puis du lycée, et maintenant je pointe réglo au chômage pour que ma vieille maman qui parle toujours le dialecte touche un petit quelque chose à la fin du mois qui commence vers le 10... De mon côté, je me débrouille, mais il faut bien reconnaître qu'on est souvent hors la loi, mes potes et moi. Faut dire aussi que les lois, elles sont pas faites pour nous. Vous protégez votre business entre potes pétés de thunes, nous on fait pareil – normal!
Je sais pas si vous avez vu le film "Entre les murs" mais il faudrait. C'est un peu light par rapport à la réalité. Je vous le dis franchement, un prof qui traite ma petite sœur de 'pétasse' comme dans le film, il a intérêt à déménager et plus jamais se pointer dans le quartier. Sinon, c'est bien! On est tous là, du monde entier, à gober les conneries d'un prof qui a aucune chance. Jacky Chan, il m'a trop fait mourir de rire! J'ai de la famille là-bas aussi, du côté de Canton, c'est là qu'ils fabriquent tous les trucs que vous voulez qu'on ait besoin pour faire tourner votre boutique. En échange vous leur filer les jeux olympiques mon fric alors on se dit que c'est devenu bien cool chez eux mais en fait, les comme moi, ils bossent seize heures par jour pour gagner juste de quoi pas crever. C'est clair, vous en avez rien à cirer! Leur patron se marre avec vous maintenant et vous lui dites quoi? Rien… C'est lui qui vous tient par les couilles, maintenant, alors forcément tout ce qu'il dit et qu'il fait ou pas, c'est bien. Pour en revenir au film, y'a surtout Souleymane le magnifique! J'ai cru me voir à son âge – comment j'étais tendu à l'époque! J'avais déjà compris que je me faisais baiser grave, je partais en vrille à la moindre délocalisation! Je me suis calmé, forcément, même quand on est jeune on vieillit…
Alors quand je vous vois tous là, à la télé, sur Internet, à la une de tout, comment vous avez l'air de trop vous éclater à faire semblant de refaire le monde, je vous le dis franchement, vous vous foutez de sa gueule, au monde! Comme je vous l'ai dit, j'ai de la famille partout, en Roumanie, au Bengladesh, au Mali, en Pologne, en Tunisie et au Portugal, et même en France, dans le 9-3, et encore au Vietnam, enfin partout où vous mettez jamais les pieds. Il paraît qu'à Londres vous avez même pas parlé de l'écologie! - c'est vrai que dans votre bulle, c'est pas un problème… Mais que vous avez réussi à continuer comme ça, en fabriquant des nouveaux billets pour les banques qui sont vides. Bande de bouffons! Vous savez bien que c'est un pansement sur une jambe de bois (c'est l'éducateur qui m'a refilé l'expression, j'aime bien)… Il m'a aussi passé un bouquin, "La haine de l'Occident" d'un vieux Suisse qui s'appelle Jean Ziegler. Quand je lui ai demandé pourquoi il fallait que je lise ça, il m'a dit que c'était pour comprendre que tous les dirigeants sont pas des bâtards. Le Ziegler, il a bossé à l'ONU, aux droits de l'homme, et tout ça, mais tout le monde s'en fout maintenant des droits de l'homme et de l'ONU! Ça rapporte que dalle! Donc, c'est pas un vrai patron! Mais quand même, il est super réglo le vieux! C'est balaise de balancer comme ça! Il a un gilet pare-balle? Bon, j'ai pas tout lu mais y'a des trucs qui font mal aux yeux tellement c'est vrai…
"Ne comprendra rien au XXIème siècle, celui qui ne saisit qu'aujourd'hui vivent côte à côte, dans le genre humain, deux espèces dont l'une ne voit pas l'autre: les humiliants et les humiliés. […] La difficulté vient de ce que les humiliants ne se voient pas en train d'humilier. Ils aiment à croiser le fer, rarement le regard des humiliés." Le mec qui a écrit ça, c'est Régis Debray mais c'est le Ziegler qui l'a mis dans son livre. Il en a mis un autre aussi qui écrit moins bizarre, Edgard Morin: "La domination de l'Occident est la pire de l'histoire humaine dans sa durée et son extension planétaire." Et puis encore un autre, un Léon Bloy: "L'histoire de nos colonies, surtout en Extrême-Orient et en Afrique, n'est que douleur, férocité sans mesure et indicible turpitude." Il a raison l'éducateur, y'a des mecs qui pensent autrement qu'en se demandant comment baiser les autres… Ils écrivent des bouquins pendant qu'on se fait sarkoloniser! Mais il a pas peur, le Ziegler, quand il parle pas des milliers de morts, des massacrés de partout pendant des siècles, il dit bien ce qui se passe dans vos têtes de patrons. Le pire, c'est quand vous revenez sur place pour dire que vous regrettez pas, qu'en fait on a carrément eu de la chance! "Jeune d'Afrique, je ne suis pas venu vous parler repentance!", là, c'est Sarko qui parle, en 2007, à Dakar. "La colonisation fut une faute qui fut payée par l'amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait tant." Ça va, c'est pas cher! Et puis attends, massacrer les gens, les exploiter jusqu'au trognon, c'est une 'faute'? Un crime, ça commence quand? Et le mec qui tient le fusil, il comprend pas pourquoi on l'aime pas? Si je fais un dixième de tout ça, vous me coupez la tête! Vous avez pillé toute la planète jusqu'à la pourrir et maintenant que je me pointe à votre porte vous me balancez comme un voleur! Bon, faut que je me calme, j'ai promis à l'éducateur… C'est Laurent Cantet, le mec qui a réalisé Entre les murs! Heureusement qui y en a des comme lui pour compenser vos tronches de mort de rire entre deux banquets! Il m'a proposé de vous écrire parce qu'ils sont de plus en plus à avoir carrément la honte quand ils vous voient… Prix de la bouffonnerie à l'Italien – franchement, il est patron d'un pays ce mec-là? Bon, allez, je vous lâche, j'ai encore un paquet de tombes à creuser…
Code 0 - Centre de rétention économique et politique, Nowhereland, Terre 2009

samedi 4 avril 2009

Les jiao zi de Lao Zi

Lao Zi a 62 ans, il est plombier et prépare les meilleurs jiao zi que je connaisse mais il n'aime pas l'idée que son vrai nom puisse se promener dans le monde et moins encore en Chine. Au cours de nos conversations avec Xiangfei à la traduction, il est souvent revenu sur Lao Zi, pour lui de loin supérieur à Kong Zi (Confucius) "trop proche des puissants". Invité hier à déjeuner chez lui, j'ai proposé de faire son portrait et d'utiliser Lao Zi comme pseudo. Il s'est étranglé: "Quand j'aurai autant de valeur que l'un de ses poils j'aurai déjà beaucoup évolué!". Lors de sa première visite, il y aura bientôt trois ans de ça, il est arrivé à 15h00 et est reparti vers 18h00, non sans avoir changé un joint de siphon de lavabo. Entre temps, il a parlé, beaucoup, de tout, et surtout de son incompréhension du sort réservé aux Chinois de condition modeste. Lao Zi aura été le premier Chinois rencontré à m'épargner la langue de bois de l'enthousiasme officiel. Par la suite, nous sommes allés déjeuner chez son fils en grande banlieue, surtout pour visiter le bel appartement financé par les économies du plombier et de sa femme. Puis Lao Zi et Madame sont venus manger occidental à la maison, et nous sommes retournés chez eux, dans leur pièce unique dépourvue de WC, cuisine collective sur le palier, au deuxième étage d'un vieux bâtiment de la concession française où ils ont grandi tous les deux. C'est pourtant à trois mille kilomètres de là, dans le Gansu, à Lanzhou, qu'ils se sont connus…

Lao Zi est né à Shanghai en 47, aîné de deux sœurs aujourd'hui en Australie. Il avait donc vingt-deux ans quand, en 69, il lui a été proposé un petit stage rééducatif à la campagne, cadeau du grand timonier qui offrit le même à une jeune fille de vingt ans, une inconnue lointaine de quelques rues. Elle essaya de ne pas partir mais il fut expliqué à ses parents qui ne souhaitaient pas perdre leur travail que de bons camarades sauraient certainement persuader leur fille d'un évident besoin de sagesse campagnarde. Ils ne se connaissaient pas encore mais travaillaient dans la même usine d'assemblage de tracteurs, à Lanzhou donc, où un important groupe de jeunes shanghaiens avait été déplacé. Rééducation apédagogique certes, mais il était aussi question de poursuivre à tout prix le délire productiviste qui était en train de mettre la Chine à genoux. Tous deux ouvriers qualifiés grâce à un brevet acquis avant de partir, lui au contrôle qualité, elle à la compta, ils ne se sont rencontrés qu'en 73, quand le dan wei, l'unité de travail, décida qu'il était temps de les présenter l'un à l'autre. Rails implacables, mariage en 74, fils en 75, le bonheur pur.

Lao Zi, Madame, et leur progéniture, peu à peu se font une vie collective. Déjà six ans qu'ils sont là-bas dans le Gansu, la vie est bien réglée. Depuis le mariage, ils ont quitté l'hébergement collectif chez les paysans et sont maintenant logés dans un appartement privatif dont ils ont acheté la concession, valide tant qu'ils seront employés de l'usine. Ils montent doucement en grade, peu à peu se hissent à un niveau d'agent de maîtrise. Le fils va à l'école, le temps passe, le temps file comme les formules du petit livre rouge qui rythment les consciences assoupies par une rigoureuse absence de décisions à prendre. Dix ans déjà! Puis quinze, puis vingt, sans un nuage, dans le cocon infantilisant du camarade fonctionnel… Vingt-cinq ans sans un mot qui froisse le dan wei! Et puis 1996 et la faillite de l'usine de tracteurs… Ouverture oblige, on en termine enfin avec un productivisme soviétique indifférent aux lois de l'offre et de la demande. Soudain, une circulaire ouvre les yeux sur une montagne de tracteurs sans l'ombre d'un acheteur potentiel. L'État n'achète plus, on feeeerme!!!! La débandade…

A l'heure du reclassement, on se souvient que Lao Zi et sa moitié de ciel viennent de Shanghai. Automatiquement acquis dès l'âge de seize ans, le hukou shanghaien du fils de vingt et un ans signifie le rapatriement sans négociation possible. Ils débarquent avec leurs modestes économies dans une néo mégalopole où le niveau de vie est dix fois supérieur à celui du Gansu. La famille emménage dans la pièce unique qu'occupent les parents de Lao Zi. Le petit-fils vit le décalage de son existence avec celle de la jeunesse shanghaienne comme une gifle. "On est revenu sans argent et sans fils", lâche Madame Lao Zi, très émue entre deux jiao zi…

Via Xiangfei, j'ai posé trois questions:
1) Il en reste quoi de ce quart de siècle, de cette expérience de vie déplacée?
"我们是多余的一代。Wo men shi duo yu de yi dai. Nous sommes une génération superflue…" Puis, après un silence, "Nous sommes les jouets de l'histoire."
2) Vous avez ressenti quoi quand vous êtes rentrés à Shanghai?
Madame est plus diserte, c'est un sujet qu'elle rumine depuis bientôt quinze ans: l'humiliation. Et, pour une fois, les étrangers n'en sont pas responsables. "On nous a tout de suite fait comprendre que nous n'étions pas au niveau. C'est une honte pour moi de faire la cuisine devant vous… J'ai travaillé toute ma vie pour une retraite de 1100 ¥ (110€)…"
3) Qu'est-ce que vous attendez de l'expo universelle de 2010?
(Rires) "C'est un truc de politiciens, nous, on n'en verra pas la couleur!" A part 50% de hausse des prix…

Puis, incidemment – j'ai posé beaucoup de questions-, Lao Zi invite le Tibet dans la conversation… "Pourquoi les Français veulent l'indépendance du Tibet?" On part de loin… Différence entre intégration et assimilation, grand écart entre indéniable progrès social et disparition du pencham lama, schisme entre les Hans et la Chine dans sa globalité… Je n'exclus pas que la Chine soit un kaléidoscope furieusement difracté que les Chinois ont la capacité d'appréhender en une synthèse jalousement opacifiée par la grande muraille.

Trente-cinq succulents jiao zi plus tard, j'en suis toujours à me demander si Lao Zi (l'icône) marchait sur l'eau, évitait les péages, ou se foutait de la gueule du monde… Le mien, (le vrai) mon ami plombier, buveur de café qui ne supporte pas que j'aie arrêté de fumer, avance dans sa vie avec des chaussures de foot aux pieds, crampons moulés pour s'accrocher à la route, indoor/outdoor, et son pantalon tient toujours avec une grosse ficelle…
Oubli / ajout, 24 heures plus tard... Lao Zi a aussi dit: "On n'a pas réussi, on est pauvres... On n'est donc pas représentatifs de la Chine moderne." Impossible de savoir si c'est du lard ou du cochon, du soja ou du toufu, mais cela ramène à mon esprit ce qu'écrivait Vladimir Jankélévitch dans L'ironie: "Presque rien n'est aussi grave que nous le craignons, ni aussi futile que nous l'espérons.".

饺子Jiao zi = (tiao dzeu) ravioli farcis à la viande de porc mixée avec du blanc d'œuf et du céleri
老子 Lao zi = (lâo dzeu) personnage mythique, auteur du Dao de Jing, contemporain de Kong Zi (Confucius) – Vème av. J.C. mais son existence n'est pas scientifiquement prouvée...

vendredi 3 avril 2009

Du rififi au Vatican

Un ami français me signale une dissidence en terrain catholique qui mérite que l'on s'y arrête deux secondes. D'une part, ce véritable ami qui me tendit la main alors qu'il ne me connaissait pas a été prêtre au Bénin - une dizaine d'années avant d'orienter son humanisme chrétien vers une laïcité qui lui rendait son esprit critique; d'une autre, l'info apporte de l'eau à mon moulin: impossible de se contenter d'une généralité, d'accepter une catégorisation de l'individu. Cette info confirme que l'on ne sait pas plus qui sont les chrétiens que les Français ou les Papous. Qu'en est-il exactement? Un prêtre a excommunié son patron, Butor XVI, roi des eunuques, saint-père de l'hystérie religieuse. Ce n'est pas rien! Il me semble juste et légitime, bien que ne partageant pas cette foi, de donner la parole ici à ce prêtre courageux et probablement très isolé qui va devoir affronter les foudres psychotiques de Rome… Le prêtre s'appelle Gérard Bessière, il a été enseignant, journaliste, éditeur, le texte ci-dessous a été publié dans Témoignage chrétien, ce qui en dit long sur l'impopularité de ce pape dont on ne peut, en temps qu'Occidental mais aussi tout simplement en tant qu'homme, que se féliciter.
"C’est énorme, c’est vrai, disproportionné avec ma chétive personne ! Mais il faut bien que je l’avoue, je ne peux pas le cacher aux amis : j’ai excommunié Benoît XVI. Alors que lui venait de lever l’excommunication des évêques intégristes… !Vous ne me prenez pas au sérieux ? C’est pourtant vrai. Que s’est-il passé ? Fin janvier, quand Rome a consolidé ces quatre mitres schismatiques sans tenir grand compte de leur refus du renouveau du dernier concile, de la reconnaissance de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, de l’ouverture au monde, et j’en passe, j’ai cessé de nommer l’évêque de Rome dans la prière eucharistique. Notez que je n’ai pas inventé pareil silence. Dans les Églises anciennes – sentez comme je suis porté vers la Tradition ! – quand il y avait des chamailleries, souvent passagères, on cessait de faire mention pendant la messe des camarades avec qui on était en pétard. On les nommait à nouveau quand on avait arrangé les affaires. Donc pas de gloussements hypocrites, de soupirs vers l’unité, mais déclaration nette de désaccord jusqu’à ce que tout soit clarifié. Alors j’ai fait pareil. Et puis, trop, c’est trop ! Après la bévue de Ratisbonne, la nomination à Varsovie d’un archevêque, ancien indic de la police communiste, qu’il a fallu démissionner au seuil de la cathédrale, la création d’un prieuré pour quatre prêtres intégristes à la barbe de l’archevêque de Bordeaux, la possibilité offerte à ces intégristes dépendant directement de Rome d’ouvrir un séminaire (ce qui révélait, derrière les trémolos à l’unité, une stratégie de restauration d’une Église « à l’ancienne »), voilà qu’on fait encore des avances aux disciples obstinés de Mgr Lefebvre! Lèverai-je un jour l’excommunication ? Il faudrait des signes de repentance et de fidélité en actes aux orientations de Vatican II. Pourvu que je ne me fasse pas traiter de schismatique… Mais peut-être qu’à ce moment-là, on s’occupera de moi, on m’encouragera à célébrer la messe dans la langue de ma vie, avec les gens, sans leur tourner le dos, peut-être aussi qu’on sera soucieux de leur liberté de conscience, qu’on partagera davantage leurs attentes, quelles que soient leur religion, leurs convictions et les couleurs de leurs âmes. En se tournant résolument vers l’avenir ! Avec quelqu’un, un juif, qui semble un peu oublié à Ecône et qui ne parlait pas latin : Jésus
Gérard Bessières

On peut regretter qu'il ne soit pas question de préservatif... On peut également craindre qu'un curé face à l'épouvantail du Vatican aura moins d'impact encore que 3 millions de personnes dans la rue contre Sarkoléon Narkozy… Saluons cependant le courage, la détermination, qui n'abdique pas devant l'aberration d'un pouvoir si peu spirituel.
P.S. - A Buenos Aires, 1100 personnes viennent de demander à être débaptisées...

Internet ou le mythe de la communication moderne

Hier, cours sur les locutions latines les plus fréquemment utilisées en français. Une cinquantaine d'expressions parmi lesquelles Id est, abrégée en i. e. pour c'est à dire. Une étudiante espiègle: "Ah, bon? i. e., ça ne veut pas dire Internet explorer?" Ite missa est!

On réfléchit, on débat, on bavarde surtout, à propos de la toile et sur la toile qui se nourrit ainsi d'elle-même sans se poser les bonnes questions. Internet est-il (la toile internationale est donc un terme masculin, It's a man man's world!) synonyme d'évolution? NON. Internet est-il un progrès? Potentiellement, OUI. Nous pourrons parler d'évolution quand nous serons capables de ne plus nous entretuer et de subvenir à nos besoins sans nous auto-détruire. Et l'on ne voit pas bien par quelle miraculeuse attribution Internet pourrait inverser la dangereuse pente prise par l'humanité… En revanche, puisque nous vivons sous le règne de la vitesse et de la quantité, Internet est indéniablement un outil extraordinaire qui démontre la capacité du génie humain à créer les techniques nécessaires à ses mutations de surface. On peut spéculer sur une création technologique ex nihilo, sorte de foudroiement digne de Newton ou de l'invention de la TSF ou encore de la télévision, mais Internet n'est qu'un effet pas une cause. C'est la suite logique d'un processus enclenché avec l'imprimerie, puis l'électricité domestique, puis le téléphone, la radio et la télévision, et enfin les satellites, i. e. un besoin d'accélération de la communication. Ce besoin d'accélération répond lui-même à une massification et à une accélération générale des transports, terrestres et aériens, ainsi que de l'information, tant sous forme d'entertainment que de communication de données (économiques, culturelles, sociales, politiques, etc.), et ce à seule fin de rentabilité, de profit. Une nouvelle niche économique est née, un nouveau vecteur d'enrichissement qui ne peut donc pas plus être arrêté (quand bien même tentation sécuritaire politique) que l'industrie automobile malgré une capacité de nuisance totalement inédite dans l'histoire de l'humanité. Nous apprenons donc à vivre avec cette nouvelle fée/sorcière technologique, les uns la portant aux nues, les autres au contraire la diabolisant. Vieil habitus face à la nouveauté, il semble que nous ne puissions nous empêcher de fantasmer ad nauseam sur les vices et vertus d'un outil dont l'ensorcelante nouveauté nous fait oublier que son usage ne sera jamais que celui que nous en faisons. Tout électronique qu'il soit devenu, le Café du commerce restera le Café du commerce; toute planétaire et satellisée qu'elle soit, la communication sera toujours soumise aux mêmes vieux démons: information / déformation / désinformation / manipulation. Internet est donc soumis aux mêmes lois morales et sociales, économiques, culturelles et politiques, que ses ancêtres non-électroniques, à un seul différentiel de taille: tout le monde y a accès.

Le progrès technologique repose sur l'illusion et le conditionnel
Il est ridiculement présomptueux d'espérer mieux qu'une ouverture du champ des possibles… En Chine, où l'on attend beaucoup, et probablement beaucoup trop, de cette liberté nouvelle et relative, la possibilité de communiquer rapidement de l'information sociale d'un bout à l'autre de ce pays gigantesque peut permettre une prise de conscience citoyenne d'un certain nombre de problèmes que les gouvernants préfèreraient laisser au fond d'un placard fermé à clé. Cependant, d'une part, ce n'est qu'une possibilité dans la mesure où progrès technologique ne peut pas être rationnellement associé à prise de conscience ou capacité d'entreprise; d'autre part, la propagande est par nécessité proportionnelle au débat social réel ou potentiel. Le temps passé et l'énergie dépensée à lire une pseudo information très calibrée sur 163.com, ou à tchater sur QQ ou msn, ou encore à améliorer son profil Facebook, ne contient strictement rien de subversif, pas un octet de velléité évolutive. Ce progrès technologique réel n'est donc un progrès social qu'en puissance, au même titre que la TV avec laquelle on peut aussi bien créer la BBC que TF1, c'est à dire le meilleur comme le pire. La toile est assez vaste pour attraper quelques centaines de millions de mouches prises au piège de l'illusion de la communication, de la tentation d'exister, l'ensemble sous l'empire du faux. L'image électronique, tout comme son ancêtre imprimée, n'a pas vocation à la vérité mais au divertissement de cette société du spectacle de la consommation, en une sorte d'enfantement imprévu des théories de Debord et Baudrillard. Les webcams filment la tragédie consumériste des solitudes reliées à 20, 200, 2000 amis virtuels, et les images sont aussitôt téléchargées sur YouTube où l'on s'arrête 30", ou peut-être 3', pour visionner le passage à tabac d'un étudiant par des gardes avant de télécharger Bienvenu chez les ch'tis. C'est un peu comme si le conditionnement toxique du journal de 19h00 ou 20h00 frappait désormais toutes les cinq minutes, entre deux pages de pub et un détour par la téléréalité, cette narcissisation du pauvre. Progrès?

Google ou l'impérialisme culturel
Vous voulez savoir si Mao portait un slip rouge ou si le Nutella est en vente libre à Oulan-Bator? Vous voulez acheter une Kalachnikov ou rencontrer pour votre thèse un unijambiste serbe né d'une mère bosniaque? Vous voulez offrir une relique du petit livre rouge à votre correspondant lapon ou tout savoir sur la construction D.I.Y d'une éolienne? Mes favoris, Google, taper les mots-clés, choisir, c'est à dire cliquer, cliquer, cliquer, cliquer encore, et encore et encore et encore et vous finirez bien par gagner un slip rouge porté par un sosie de Che Guevara, cadeau pour l'achat en ligne d'un poster de Kalachnikov imprimé en Mongolie. C'est ce qui arrive aux étudiants qui font leurs devoirs en quelques clics, sans prendre le temps d'approfondir et parfois même de lire ce qu'ils copient/collent. Formidable moteur de recherche, Google trust l'ensemble des données mondiales dans tous les domaines, impose son efficacité dans tous les secteurs de la communication informatique, y compris ce blog. Et Google ne livre pas le mode d'emploi moral, intellectuel, de ce foisonnement incontrôlable dans lequel Wikipédia a remplacé l'Encyclopédie Universalis. L'illusion de la nécessité d'aller vite justifie les pires faiblesses, de la lâcheté à la flemme, en passant par l'approximation, le mensonge, le détournement et l'appropriation. Là encore, là toujours, Internet et ses épiphénomènes sont de phénoménaux outils posés sur nos bureaux mais ils ne livrent pas d'éthique appliquée à leur usage. L'hégémonie Google, à terme, sera remplacée par une autre, ou plusieurs autres créant l'illusion d'une pluralité, au gré d'une loi, d'un rachat, etc., et cela ne changera rien, seul l'usage que l'on en fait, au même titre que les journaux, livres, films, musiques, etc., que nous consommons depuis des siècles, peut donne du sens à cette nouvelle industrie.

Blogomania
Dois-je me justifier? "La grande tâche de la vie, c'est de se justifier. Se justifier, c'est célébrer un rite, toujours." a écrit Pavese dans Le métier de vivre, une trentaine d'années avant le premier ordinateur. Il y a un peu plus de vingt ans maintenant, j'ai réécrit huit fois mon premier manuscrit (400 pages) – 2 fois à la main, 2 à la machine à écrire, 2 sous ms-dos, et enfin 2 sous Word. J'ai gagné avec le blog la liberté de me dispenser d'un éditeur ou d'un rédacteur en chef, qui ont toujours été persuadés de savoir mieux que moi ce que je devais ou pouvais écrire ou pas. C'est à dire que mon chemin d'écriture s'est accommodé avec bonheur de cette nouvelle technologie et que je suis ravi de lire autant que d'écrire dans un contexte de disponibilité permanente. Et si Tata Simone veut créer son blog pour parler de ses chats ou qu'un musulman éprouve le désir de parler de sa foi, je n'ai bien entendu rien à y redire! Je ne suis pas obligé de lire les délires antisémites d'un nazillon ou les élucubrations sexuelles d'un zoophile! Là, oui, nous disposons d'un espace de liberté d'expression tout à fait salutaire! Une fois encore, cela ne garantit en rien la pertinence et/ou l'indépendance du propos… La seule garantie d'Internet, blog ou autre, c'est l'émergence quasi universelle maintenant et assurément à terme d'une plate-forme d'expression qui ignore les frontières et est ou sera accessible par tous. En cela et seulement en cela, Internet est un indéniable progrès. Pour le reste, l'humanité est désespérément en panne.