dimanche 12 avril 2009

Le casse de l'épargne

Silouane, dans son blog entre les livres, questionne le sens de l'épargne chinois. En admettant que le grand chantier de l'accès aux soins pour tous arrive à terme un jour, les Chinois injecteraient-ils leurs économies dans la société de consommation dont rêvent les Occidentaux? Il est ici question des Occidentaux qui perçoivent le marché chinois comme un eldorado, potentiel et à terme pour les plus prudents, ici et maintenant pour ceux qui vont repartir très vite. Effectivement, la santé est une préoccupation primordiale qui tourne à la psychose quand elle n'est plus assurée par une réserve substantielle en cas de coup dur. Sachant que toutes sortes de tarifs sont en vigueur pour une même consultation ou maladie ou intervention, le critère étant celui de l'attention que le médecin / chirurgien vous accordera en fonction de ce que vous pouvez payer, on comprend qu'un matelas de liquidité soit la seule garantie fiable. Silouane évoque aussi l'éducation, autre poste important du budget familial. Non seulement l'éducation est payante mais il faut aussi compter sur un bon guanxi (réseau / relation) très onéreux si l'on souhaite une 'bonne' école, lycée, fac, etc. Bien entendu, le stage à l'étranger, court ou long, est une autre dépense somptuaire – d'autant plus si l'étudiant vise une grande école de type HEC qui facture ses services à 150% du tarif normal pour les étudiants étrangers. Enfin, l'habitat et la quasi-obligation pour les parents d'acheter l'appartement pour l'enfant, celui-ci en retour prenant les parents chez lui quand sonne l'heure de la dépendance - ou plus tôt encore, pour s'occuper de la progéniture pendant que papa et maman travaillent.
La globalité de ce système tient bien sûr à l'absence de réelle couverture sociale, les maigres retraites, indemnités, assurances - quand elles existent! - étant sans rapport avec le coût de la vie actuelle. Le meilleur moyen de s'en sortir, c'est donc de satisfaire le premier palier de la pyramide de Maslow: c'est à dire valoriser le sens de la sécurité. On comprend mieux vue d'ici l'extraordinaire richesse que représente une notion banalisée en France, la sécurité sociale. Pour la génération de mes beaux-parents, "consommer" n'a pas plus de sens que "jouir de la vie", "philosopher", ou "être amoureux", toutes ces considérations oiseuses n'étant au mieux qu'une futilité, au pire une trahison, une entorse impardonnable à la piété filiale, piété familiale, une grave absence de sens de la responsabilité. Pour les nouvelles générations des grandes villes, peu à peu, les choses changent. Le pouvoir d'achat a sensiblement évolué ces dernières années et la séduction du consumérisme est très performante. Cependant, les secteurs évoqués par Silouane demeurent une jungle où la seule machette efficace est l'effigie de Mao sur les billets de 100 dupliqués autant de fois que possible. Donc, l'épargne encore, l'épargne toujours. Et quadrature pour un gouvernement et une économie qui, comme n'importe quel pays en situation de dépendance au marché, ont dramatiquement besoin d'une relance permanente, c'est à dire d'une consommation exponentielle, pour alimenter l'emploi et le profit ultra libéral. Comment faire?
L'une des solutions tient dans le petit morceau de plastique en illustration. C'est une carte de paiement d'une valeur X (500 ou 1000, en général) perçue à titre de prime et d'une validité n'excédant pas deux ans. Certaines de ces cartes n'étant valables que dans les magasins d'État de type Lianhua, on peut parler de protectionnisme. Elles sont pourtant plus généralement ouvertes à quasiment toutes les dépenses en magasin. Périssables, elles ne peuvent qu'être injectées dans le commerce et font ainsi tourner la boutique Chine. A titre d'exemple, un cadre sup de l'administration a touché une prime annuelle de 30 000 yuans en cartes. S'il est possible de les monnayer au marché noir à un taux raisonnable – une carte de 1000 yuans vendue 900/950 yuans –, l'illusion de ne pas dépenser en utilisant le morceau de plastique est aussi grisante ici qu'ailleurs! De là à acheter des produits étrangers, il y a un grand pas que seuls les Chinois ayant une expérience de l'étranger franchissent mais, le réflexe consumériste étant pris et désormais entretenu, de nombreux petits pas sont faits chaque jour.
http://silouane.blog.lemonde.fr/2009/04/12/quand-le-reve-rencontre-la-realite/

2 commentaires:

  1. "Pour la génération de mes beaux-parents, "consommer" n'a pas plus de sens que "jouir de la vie", "philosopher", ou "être amoureux",

    Merci Olivier de développer un vaste sujet. Le développement économique du pays a bien entendu un rapport avec cette vision de la vie. Cette génération ( qui me rappelle celle de mes grands-parents français ou celle de sexagénaires taïwanais connus dans les années 80 à Taipei) a connu ou le manque ou la frugalité à une époque où on parlait encore de nourrir et habiller tout le monde (le fameux 温饱wēn bǎo ), le reste n'est que superflu comme vous le dites.
    J'ai connu votre blog grâce au Sage précaire, qui a écrit un éloge très mérité.

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  2. Merci!:)Je suis le votre avec grand intérêt également...

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