vendredi 3 avril 2009

Internet ou le mythe de la communication moderne

Hier, cours sur les locutions latines les plus fréquemment utilisées en français. Une cinquantaine d'expressions parmi lesquelles Id est, abrégée en i. e. pour c'est à dire. Une étudiante espiègle: "Ah, bon? i. e., ça ne veut pas dire Internet explorer?" Ite missa est!

On réfléchit, on débat, on bavarde surtout, à propos de la toile et sur la toile qui se nourrit ainsi d'elle-même sans se poser les bonnes questions. Internet est-il (la toile internationale est donc un terme masculin, It's a man man's world!) synonyme d'évolution? NON. Internet est-il un progrès? Potentiellement, OUI. Nous pourrons parler d'évolution quand nous serons capables de ne plus nous entretuer et de subvenir à nos besoins sans nous auto-détruire. Et l'on ne voit pas bien par quelle miraculeuse attribution Internet pourrait inverser la dangereuse pente prise par l'humanité… En revanche, puisque nous vivons sous le règne de la vitesse et de la quantité, Internet est indéniablement un outil extraordinaire qui démontre la capacité du génie humain à créer les techniques nécessaires à ses mutations de surface. On peut spéculer sur une création technologique ex nihilo, sorte de foudroiement digne de Newton ou de l'invention de la TSF ou encore de la télévision, mais Internet n'est qu'un effet pas une cause. C'est la suite logique d'un processus enclenché avec l'imprimerie, puis l'électricité domestique, puis le téléphone, la radio et la télévision, et enfin les satellites, i. e. un besoin d'accélération de la communication. Ce besoin d'accélération répond lui-même à une massification et à une accélération générale des transports, terrestres et aériens, ainsi que de l'information, tant sous forme d'entertainment que de communication de données (économiques, culturelles, sociales, politiques, etc.), et ce à seule fin de rentabilité, de profit. Une nouvelle niche économique est née, un nouveau vecteur d'enrichissement qui ne peut donc pas plus être arrêté (quand bien même tentation sécuritaire politique) que l'industrie automobile malgré une capacité de nuisance totalement inédite dans l'histoire de l'humanité. Nous apprenons donc à vivre avec cette nouvelle fée/sorcière technologique, les uns la portant aux nues, les autres au contraire la diabolisant. Vieil habitus face à la nouveauté, il semble que nous ne puissions nous empêcher de fantasmer ad nauseam sur les vices et vertus d'un outil dont l'ensorcelante nouveauté nous fait oublier que son usage ne sera jamais que celui que nous en faisons. Tout électronique qu'il soit devenu, le Café du commerce restera le Café du commerce; toute planétaire et satellisée qu'elle soit, la communication sera toujours soumise aux mêmes vieux démons: information / déformation / désinformation / manipulation. Internet est donc soumis aux mêmes lois morales et sociales, économiques, culturelles et politiques, que ses ancêtres non-électroniques, à un seul différentiel de taille: tout le monde y a accès.

Le progrès technologique repose sur l'illusion et le conditionnel
Il est ridiculement présomptueux d'espérer mieux qu'une ouverture du champ des possibles… En Chine, où l'on attend beaucoup, et probablement beaucoup trop, de cette liberté nouvelle et relative, la possibilité de communiquer rapidement de l'information sociale d'un bout à l'autre de ce pays gigantesque peut permettre une prise de conscience citoyenne d'un certain nombre de problèmes que les gouvernants préfèreraient laisser au fond d'un placard fermé à clé. Cependant, d'une part, ce n'est qu'une possibilité dans la mesure où progrès technologique ne peut pas être rationnellement associé à prise de conscience ou capacité d'entreprise; d'autre part, la propagande est par nécessité proportionnelle au débat social réel ou potentiel. Le temps passé et l'énergie dépensée à lire une pseudo information très calibrée sur 163.com, ou à tchater sur QQ ou msn, ou encore à améliorer son profil Facebook, ne contient strictement rien de subversif, pas un octet de velléité évolutive. Ce progrès technologique réel n'est donc un progrès social qu'en puissance, au même titre que la TV avec laquelle on peut aussi bien créer la BBC que TF1, c'est à dire le meilleur comme le pire. La toile est assez vaste pour attraper quelques centaines de millions de mouches prises au piège de l'illusion de la communication, de la tentation d'exister, l'ensemble sous l'empire du faux. L'image électronique, tout comme son ancêtre imprimée, n'a pas vocation à la vérité mais au divertissement de cette société du spectacle de la consommation, en une sorte d'enfantement imprévu des théories de Debord et Baudrillard. Les webcams filment la tragédie consumériste des solitudes reliées à 20, 200, 2000 amis virtuels, et les images sont aussitôt téléchargées sur YouTube où l'on s'arrête 30", ou peut-être 3', pour visionner le passage à tabac d'un étudiant par des gardes avant de télécharger Bienvenu chez les ch'tis. C'est un peu comme si le conditionnement toxique du journal de 19h00 ou 20h00 frappait désormais toutes les cinq minutes, entre deux pages de pub et un détour par la téléréalité, cette narcissisation du pauvre. Progrès?

Google ou l'impérialisme culturel
Vous voulez savoir si Mao portait un slip rouge ou si le Nutella est en vente libre à Oulan-Bator? Vous voulez acheter une Kalachnikov ou rencontrer pour votre thèse un unijambiste serbe né d'une mère bosniaque? Vous voulez offrir une relique du petit livre rouge à votre correspondant lapon ou tout savoir sur la construction D.I.Y d'une éolienne? Mes favoris, Google, taper les mots-clés, choisir, c'est à dire cliquer, cliquer, cliquer, cliquer encore, et encore et encore et encore et vous finirez bien par gagner un slip rouge porté par un sosie de Che Guevara, cadeau pour l'achat en ligne d'un poster de Kalachnikov imprimé en Mongolie. C'est ce qui arrive aux étudiants qui font leurs devoirs en quelques clics, sans prendre le temps d'approfondir et parfois même de lire ce qu'ils copient/collent. Formidable moteur de recherche, Google trust l'ensemble des données mondiales dans tous les domaines, impose son efficacité dans tous les secteurs de la communication informatique, y compris ce blog. Et Google ne livre pas le mode d'emploi moral, intellectuel, de ce foisonnement incontrôlable dans lequel Wikipédia a remplacé l'Encyclopédie Universalis. L'illusion de la nécessité d'aller vite justifie les pires faiblesses, de la lâcheté à la flemme, en passant par l'approximation, le mensonge, le détournement et l'appropriation. Là encore, là toujours, Internet et ses épiphénomènes sont de phénoménaux outils posés sur nos bureaux mais ils ne livrent pas d'éthique appliquée à leur usage. L'hégémonie Google, à terme, sera remplacée par une autre, ou plusieurs autres créant l'illusion d'une pluralité, au gré d'une loi, d'un rachat, etc., et cela ne changera rien, seul l'usage que l'on en fait, au même titre que les journaux, livres, films, musiques, etc., que nous consommons depuis des siècles, peut donne du sens à cette nouvelle industrie.

Blogomania
Dois-je me justifier? "La grande tâche de la vie, c'est de se justifier. Se justifier, c'est célébrer un rite, toujours." a écrit Pavese dans Le métier de vivre, une trentaine d'années avant le premier ordinateur. Il y a un peu plus de vingt ans maintenant, j'ai réécrit huit fois mon premier manuscrit (400 pages) – 2 fois à la main, 2 à la machine à écrire, 2 sous ms-dos, et enfin 2 sous Word. J'ai gagné avec le blog la liberté de me dispenser d'un éditeur ou d'un rédacteur en chef, qui ont toujours été persuadés de savoir mieux que moi ce que je devais ou pouvais écrire ou pas. C'est à dire que mon chemin d'écriture s'est accommodé avec bonheur de cette nouvelle technologie et que je suis ravi de lire autant que d'écrire dans un contexte de disponibilité permanente. Et si Tata Simone veut créer son blog pour parler de ses chats ou qu'un musulman éprouve le désir de parler de sa foi, je n'ai bien entendu rien à y redire! Je ne suis pas obligé de lire les délires antisémites d'un nazillon ou les élucubrations sexuelles d'un zoophile! Là, oui, nous disposons d'un espace de liberté d'expression tout à fait salutaire! Une fois encore, cela ne garantit en rien la pertinence et/ou l'indépendance du propos… La seule garantie d'Internet, blog ou autre, c'est l'émergence quasi universelle maintenant et assurément à terme d'une plate-forme d'expression qui ignore les frontières et est ou sera accessible par tous. En cela et seulement en cela, Internet est un indéniable progrès. Pour le reste, l'humanité est désespérément en panne.

3 commentaires:

  1. Comme dirait mon prof de philo, l'avènement d'une société d'information et d'internet n'est pas synonyme de l'avènement d'une société mieux informée.

    RépondreSupprimer
  2. Il est très bien ce prof de philo!

    RépondreSupprimer
  3. L'information étant souvent une vue subjective d'une personne mal informée possédant qu'une partie de l'information...

    RépondreSupprimer