mercredi 22 avril 2009

La grande illusion


Aux propositions faites par Hervé Kempf dans Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, s'opposent en toute logique la globalisation marchande, la surconsommation et ses apôtres. Plus ou moins bien intentionnés, les chefs d'États, les chefs d'entreprises, les chefs des médias, redoublent d'effets d'annonce alternant catastrophisme et promesses d'imminente embellie.

Sélection des titres du 21 avril 2009
Aujourd'hui la Chine
*En Chine, à la recherche des stations de sports d'hiver de demain
*Au salon de l'automobile de Shanghai, constructeurs chinois et américains en compétition
*Pour relancer la consommation, l'électroménager part en campagne en Chine
Le Monde
*EDF prépare un grand emprunt obligataire pour les particuliers (en chapeau: Le groupe d'électricité et les principales banques de réseau travaillent à l'élaboration de ce projet, qui ranimerait un marché déserté depuis le milieu des années 90)
*La bourse de Paris perd près de 4% (en chapeau: Francfort a cédé 4,07%, Londres 2,49%, New York 3,56%)
*L'Australie est entrée en récession (en chapeau: La route vers la reprise)
Libération
*Les Molex séquestrent leur patron
*Caterpillar: le protocole d'accord mal accueilli par les salariés
*Comment la lumière pollue l'agglomération (en chapeau: A 79 ans, Juliette est allée au Sahara pour revoir la voie lactée. Elle se souvient qu'en 1959, elle pouvait encore la voir de Saint-Genis Laval)
*Paradis fiscaux: Monaco espère quitter la liste grise avant la fin de l'année.
Eco 89
*Sony Ericsson va licencier 2000 personnes
On pourrait encore continuer longtemps sans même passer en revue la presse internationale…

Rien de bien étonnant à cette déjà vieille rengaine qui génère a contrario les analyses de Kempf (décroissance), Todd (protectionnisme mesuré), Stiegler (réorganisation / redistribution de la puissance publique) et de bien d'autres. La relative nouveauté (oct. 06), c'est que les habituels thuriféraires du marché à tout prix et à tous les prix ont trouvé leur saint, une sorte de Gandhi de la bourse, Muhammad Yunus. Le sujet n'est pas de savoir si cet économiste chevronné est sincère ou pas, si Stockolm a été avisé en pax nobelisant un "prêteur d'espoir", mais plutôt d'essayer de comprendre ce que signifie ce micro-crédit, semble-t-il appliqué avec succès.

Il n'est bien entendu pas question non plus d'ignorer la pauvreté, ni la petite ni la grande, pas plus que le légitime désir d'entreprendre. Il s'agit plutôt de situer les enjeux vitaux d'une telle démarche, ses conséquences à terme sur notre condition globalisée. La pauvreté fait peur, c'est humain, terriblement humain, et beaucoup plus vieux que la pyramide de Maslow, vieille has been d'à peine soixante ans. En revanche, si l'accès au sentiment de sécurité matérielle est légitime, son assimilation à un concept aussi vague, culturel, circonstanciel et historique, que le bonheur relève d'un colonialisme économique. Si l'on passe à l'accumulation de richesses en tant qu'ultime objectif existentiel paré d'universalisme, on bascule dans une pauvreté irrémédiable, celle de l'esprit. Ce que cette pauvreté a d'irrémédiable, c'est qu'elle entraîne la mort de l'humanité.

Tous les signaux sont dans le rouge et pas seulement chez Greenpeace! Du protocole de Kyoto jusqu'au très actuel Durban II, la richesse des uns est la pauvreté des autres et inversement… Dans un monde pré industriel de moins de deux milliards d'individus, la vaste jungle (fut-elle déjà partiellement bétonnée) dictait une loi masculine et patriarcale dont s'accommodaient les lutteurs, les tueurs et les malins. A l'orée du septième milliard d'individus dans un monde hyper industrialisé, chaque jour davantage dérégulé pour davantage de profit dont on regrette qu'il ne tuât pas davantage que le ridicule dont il procède, la nature se rebelle et menace l'espèce. Forée, excavée, pompée au-delà du supportable avant de recracher ses excréments dans son propre système respiratoire, la nature dont l'homme est issu menace d'anéantir aussi bien les lutteurs, les tueurs et les malins, que les saints boutiquiers du social business. C'est là où l'on se pince en se demandant si l'on n'a pas raté un épisode de cette série gore qu'incarne magistralement l'humanité.

Quel est le projet de Yunus? Réformer le capitalisme, aller Vers un nouveau capitalisme ainsi que le programme son livre éponyme paru en 2007 (Jean-Claude Lattès, 280 pages) et encensé par les grands médias traditionnels: "Son modèle, efficace et rentable, a été copié partout dans le monde, jusque dans les pays développés où les banques commerciales classiques rechignent à servir les plus démunis, malgré les pressions des pouvoirs publics et de l'opinion." nous dit Le Monde du 14 avril 2006 ou encore, dans La république des Lettres du 23 avril 2007: "Depuis la fondation de la Grameen Bank, il a lancé de nombreux autres projets en matière d'économie solidaire et de développement social, tels que entre autres des assurances maladies, des prêts aux étudiants et aux mendiants, la location de téléphones portables dans les villages (les "Grameen telephone ladies") ou encore, en association avec le groupe Danone, la distribution à grande échelle de produits laitiers auprès des populations mal nourries (les "Grameen Danone Food")." C'est dans ce généreux esprit qu'Antoine Reboux et Zinedine Zidane vont en tournée de promo du capitalisme pauvre au Bengladesh. Le Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) fait une toute autre lecture qui paraît pleine de bon sens, notamment en se demandant d'une part ce que Yunus fait de l'État et d'une autre quelle peut être la crédibilité d'un spécialiste ne proposant qu'un accès massif au patronat pour toute alternative au prolétariat. Il va encore plus loin en proposant la création d'une bourse sociale, d'un Social wall street journal, etc. C'est à dire, en fait, l'application généralisée du système des subprimes et des faillites boursières à toute la planète. Lève-toi, entreprends et consomme!, scande le Christ de Wall street. Tant que le système sera basé sur l'économie, nous serons condamnés à une relance incessante impliquant une surconsommation catastrophique. Si générosité il y a, ici, elle relève du terrorisme planétaire.

Selon la fondation David Suzuki, nous dépensons 35 trillions de dollars pour remplacer ce que la nature fait gratuitement pour nous, alors que toutes les économies réunies ne peuvent générer que 18 trillions de dollars. Dans le même ordre d'idée, James Woolsey, directeur de la CIA de 93 à 95, assure que les États-Unis empruntent 800 milliards de dollars chaque année pour financer leurs excès de consommation par rapport à ce qu'ils produisent. Un tiers de cette somme, environ 250 milliards de dollars par an, va à l'importation de pétrole, soit près d'1 milliard de dollars par jour pour financer ces importations. On comprend mieux, s'il le fallait, la guerre en Irak! D'ici le milieu du siècle, l'ONU estime à 150 millions, le nombre de réfugiés environnementaux en rapport avec diverses catastrophes climatiques. Et il suffit de considérer une élévation du niveau des océans de dix mètres pour devoir déplacer 65 millions de Bangladais, 150 millions de Chinois, 12 millions de Hollandais, etc., en sachant que l'arctique aura fondu d'ici quelques décennies. Stephen Schneider de la Standford University résume imparablement la situation: "Nous sommes trop nombreux à utiliser trop de ressources trop vite.". Et l'on pourrait poursuivre cette énumération du désastre humain en égrenant les interventions des scientifiques dans The 11th hour, le film produit et commenté par Leonardo di Caprio, réalisé par Leila Conners Peterson et Nadia Peterson. Kenny Aubusel, fondateur de Bioneers suffira pour conclure - sans même parler des océans ou des forêts - en assénant simplement et calmement que nous ne sommes plus que des consommateurs soumis au dieu économie et coupés de la nature qui survivra à nos déprédations – pas nous.

Il est extrêmement choquant que de G20 en "banquier des pauvres", la notion même de capitalisme ne soit pas remise en cause. Non seulement la perpétuation du pire est programmée mais elle est donc aussi étendue à toute âme qui vive ou survive. Satisfaire aux besoins élémentaires de chacun, quels que soient la culture et les convictions de celui-ci, est sans aucun doute possible l'un des rares universalismes défendables en terme de droits de l'homme. Il est cependant tout à fait irresponsable de continuer de produire pour produire, les biens accumulés et excédentaires que possèdent 10% de la planète seraient suffisants à sortir les 90% de pauvres du seuil de dignité sous lequel le capitalisme les a conduits. La faillite du politique a créé Muhammad Yunus et son populisme que l'on peut imaginer de bonne foi mais qui ne consiste qu'à faire grimper de pauvres gens sur une échelle dont ils devront sauter dans la fournaise… "[…] Il serait fatal pour le monde entier que le modèle industriel européen et américain se répande massivement en Asie sans que l'Occident, qui est encore en avance sur l'Asie, ait inventé de nouveaux modèles de croissance et de développement. Et cela signifie que faute d'une action collective, c'est à dire publique, à moyen et à long terme, permettant l'invention de ce nouveau modèle et l'installation de sa nouvelle dynamique, l'avenir est non seulement bouché, mais apocalyptique […]." conclut Bernard Stiegler dans La télécratie contre la démocratie. Nous n'avons pas d'autre issue qu'une maîtrise drastique de la consommation. Dans ce règne de l'avoir, il est plus que temps de réapprendre à être même après la fermeture des hypermarchés. Les solutions à la pauvreté ne sont pas financières, moins encore boursières, elles sont politiques. Il faut revenir à Jean Ziegler qui précise que l'effort ne peut être demandé aux pays émergeants. C'est aux pays riches d'assurer une redistribution des richesses plutôt que d'enseigner le consumérisme qui est en train de nous tuer. Et il n'est plus l'heure de se demander si c'est juste ou pas, utopique ou non, il en va littéralement de la survie de l'humanité.
Il est certes bien difficile d'être sans avoir le minimum mais efforçons nous de sortir de la facilité d'avoir sans être. Nous avons des comptes à rendre aux générations futures, pour l'instant ils sont truqués par l'illusion d'un consumérisme capitaliste indéfiniment renaissant de ses cendres.

http://www.cadtm.org/spip.php?article4228

2 commentaires:

  1. Consommons moins est absolument impossible à faire passer, la crise que nous vivons n'est pas assez forte pour faire bouger les décideurs, il faudra un véritable cataclysme tragique pour accoucher d'un monde plus conscient.
    Je suis alléfaire un tour sur Amazon sur la fiche du livre et j'ai lu quelques commentaires qui m'ont fait rire après la lecture de votre article :

    Un livre a lire absolument; la solution qu'a développé M. Yunus, avec le micro crédit est formidable, c'est une recette économique qui marche, qui redonne de la dignité aux plus pauvre en leur permettant de s'en sortir par le haut! pour cela il a mis sur pieds différentes entreprises qui fonctionnent sur la confiance et la relation humaine tout en étant rentable économiquement.
    Dans ce livre il continue sa lancé en revisitant l'entreprise et son fonctionnement, cela donne naissance à ce qu'on appelle des "social business" à savoir des entreprises où le but premier n'est pas la recherche de profits financiers mais plutôt des avantages sociaux aux employés et aux clients de l'entreprise!
    Une grande bouffée d'oxygène dans notre actualité ou la crise financière nous asphyxie.
    http://www.amazon.fr/Vers-nouveau-capitalisme-Muhammad-Yunus/dp/2709629143

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  2. Le problème, c'est que le cataclysme tragique est en cours... Pour ce qui est de Yunus, jeyez un coup d'oeil au lien en fin d'article. Je me doute bien que s'en prendre au banquier des pauvres ne passe pas mieux que "consommez moins"... C'est même la raison de l'article! Régulez le consumérisme ne peut venir que du politique par une prise de conscience efficiente, qui dépasse les habituels bons mots et déclarations d'intention.

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