mardi 14 avril 2009

Ce que l'homme veut...

Hervé Kempf, journaliste au Monde, fondateur du site Reporterre, est un expert en écologie qui ne se contente pas d'annoncer la fin du monde. Sa dernière publication, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, propose des solutions assez radicales et néanmoins tout à fait applicables. Pour ce faire, il attaque le mal à la racine en distinguant le libéralisme du capitalisme:
"Le libéralisme vise à émanciper les personnes des déterminations transcendantes et des sujétions définies par un statut acquis à la naissance. Il définit un mode d'organisation des pouvoirs dans la cité, découlant du principe selon lequel chaque citoyen dispose d'un droit légal. Celui-ci se traduit par la liberté d'expression et par la procédure de la démocratie représentative.
Quant au capitalisme, il désigne un processus historique qui se déploie depuis deux à trois siècles. Il arrive présentement à un état de suprématie sur les autres cultures où il manifeste ses plus extrêmes conséquences. Mais qu'est-il? […] On en trouve rarement une définition claire. Celle d'Al Capone, rapportée par Alternatives économiques, est sans doute la plus exacte: "Le capitalisme est le racket légitime organisé par la classe dominante." Mais la franchise d'expression de ce spécialiste pourrait nuire à la sérénité du débat, et je lui préfère une définition plus technique: le capitalisme est un état social dans lequel les individus sont censés n'être motivés que par la recherche du profit et consentent à laisser régler par le mécanisme du marché toutes les activités qui les mettent en relation."
(p.69)
C'est sur la base de ce distinguo que l'auteur établit sa chronique d'une extinction annoncée: poursuivre sur la voie de la globalisation du capitalisme et sa logique du consommer / consumer plus équivaut à l'annonce d'une prochaine disparition des espèces, la sixième du genre, la précédente qui emporta les dinosaures ayant eu lieu il y a 65 M d'années. Dans une vidéo (lien en fin de texte), il soumet aussi un chiffre à notre réflexion: il y a vingt ou trente ans, le salaire d'un patron américain était environ 20 fois supérieur à celui de ses employés; aujourd'hui, le ratio peut atteindre 150 à 200 fois plus! Ce grand écart entre hyper-riches et pauvres crée le déséquilibre paradoxal d'une super consommation accompagnée de pénuries. Pour les apôtres d'une technologie deus ex machina remédiant à nos exactions, précisons qu'Hervé Kempf a aussi été journaliste à Science & vie et qu'il ne croit pas plus aux capteurs de CO² qu'à un recours massif aux diverses alternatives écologiques. Son credo fait appel à la conscience, à une redéfinition de nos priorités.
"Nous voulons vivre dans une société qui suive d'autres règles que le capitalisme: qui veuille le bien commun plutôt que le profit, la coopération plutôt que la compétition, l'écologie plutôt que l'économie.
Dans une société qui pose la prévention de l'effondrement de la biosphère comme but de la politique humaine dans le demi-siècle à venir; qui affirme que la réalisation de cet objectif suppose la baisse de la consommation matérielle; qui conclut que cela ne peut être atteint que par la justice sociale.
Alors, comment fait-on? On pense autrement. On admet que ce que je crois être moi est largement une construction psychique conditionnée par mon héritage culturel et monétaire, que ma liberté est largement une résultante des interactions sociales, que ce que je pense est largement le résultat de ce que j'accepte d'entendre. On inverse le schéma si efficacement implanté depuis trente ans; en réalité, aujourd'hui, l'individualisme enferme, la solidarité libère."
(p.115)
Autant dire que l'on est mal parti! Hervé Kempf préconise un certain nombre de solutions de rechange que l'on connaît déjà mais non plus sur un mode marginal, au contraire en temps que système. Des Sociétés coopérative ouvrière de production (scop) nous écartant du capitalisme au système Linux, l'auteur nous renvoie à nous-mêmes, dans nos réflexes consuméristes comme dans nos fantasmes les plus variés. Pas le temps de conscientiser la catastrophe finale, la pub nous tient puisque nous créons la pub. Si le bonheur est toujours pour demain, l'ultime holocauste est donc pour après-demain! Pourtant, citant Patrick Viveret, il veut croire en un avenir possible: "Le risque écologique est pour l'humanité l'opportunité de se reconnaître, face aux logiques identitaires, une communauté de destin." (p.116) Oui, bien sûr… Comment ne pas souscrire? Et comment y croire? Notre supériorité dans la chaîne alimentaire nous a peu à peu conduit à ne plus nous considérer comme partie intégrante de la nature, à nous percevoir au contraire comme ses maîtres incontestés, incontestables. Une planète aussi corvéable que les hommes réduits à l'esclavage par les tenants du capitalisme auxquels Hervé Kempf consacre un court chapitre assez tristement jubilatoire, passant en revue la pensée creuse de l'oligarchie régnante, d'Attali à Allègre, en passant par Ferry, lors de conférences / débats organisés par divers fonds d'investissement.
Kempf écrit serré, sans pathos ni vitupération, menant son essai sans concession vers une conclusion ouverte qui ne laisse pourtant aucune place à l'atermoiement: "Si l'on ne parvient pas à imposer des logiques coopératives au sein des sociétés, l'évolution autoritaire du capitalisme le poussera à l'agressivité sur le plan international. […] Pouvons-nous éviter que les gouvernements capitalistes imposent une réponse autoritaire en tentant une "relance" aussi dommageable écologiquement qu'inutile? Je ne sais pas. Face aux sombres perspectives, l'heure des hommes et des femmes de cœur, capables de faire luire les lumières de l'avenir, a sonné." (p.134)
Il va nous falloir beaucoup d'énergie…

Hervé Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil 2009, 14€

http://video.google.com/videoplay?docid=5830897980457146059
www.reporterre.com

8 commentaires:

  1. Peut-être l'un des livres capital sorti cette année, j'ai retenu diverses choses, notamment il faut consommer moins et arrêter de croire dans la croissance verte car les gains d'économie d'énergie serviront à consommer plus ailleurs, j'ai écrit divers billets en rapport avec le bouquin, http://silouane.blog.lemonde.fr/?s=kempf
    J'ai son livre sur les OGM que je vais lire bientôt. Lire aussi ses articles du Monde très pertinents, certains commentaires de ses contradicteurs sont intéressants parfois.
    Grand lecteur, j'apprécie votre compte-rendus sur vos lectures, ça me donne des idées d'achats.

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  2. Je viens de lire des chiffres bien interessants du "chercheur" britanique M.Rupert Hoogewerf, qui a récemment lancé une liste des super-riches chinois. D'après cette liste, il y a plus de 820 mille multimillionnaires, plus de 50 mille milliardaires en Chine. 6 Chinois sur un mille sont milliardaires. Les trois villes, Beijing, Guangdong et Shanghai occupent les trois premières ou se rassemblent le plus de surper-riches, soit 48% de toute la Chine.

    Par contre, le salaire annuel en moyenne des Shanghaiens est de 39000 (Chiffre officiel).

    Voyons l'écart...

    Néanmoins, nous vivons dans une société de socialisme. "Il n'y a pas un meilleur régime politique, il n'y a que le moins mauvais." (Je ne me rappelle plus c'est de qui. Mais je suis d'accord avec.)

    Léa

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  3. Léa,
    On estime le salaire moyen à 2000 yuans à Pékin mais ça ne veut rien dire tant les écarts sont importants entre seulement les plus bas sans couverture sociale et les moyens salaires plus protégés.

    91% des plus grosses fortunes sont entre les mains des enfants de hauts fonctionnaires...
    http://silouane.blog.lemonde.fr/2008/12/12/chine-dans-quelles-poches-est-largent/

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  4. @Léa... Je mettrai à disposition dès que ce sera possible (quand nous aurons récupéré YouTube...) quelques viéos concernant cet écart. D'ici là, quelques questions et remarques...
    1 - Qu'est-ce que ça veut dire 48% de toute la Chine?
    2 - Quant au salaire annuel moyen des shanghaiens, autant diviser par deux tout de suite (en étant optimiste) pour le reste du pays...
    3 - Tu t'en sors avec ton mémoire?

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  5. Toujours à Léa que je n'ai pas vue depuis trop longtemps... Si tu me le permets encore, tu ne devrais pas t'encombrer de vieilles étiquettes périmées telles que 'société socialiste'. Et puisque je sais bien qu'un Chinois aura plus de poids que moi, le lien ci-dessus te conduira à une démarche citoyenne qui s'est allégée des formules rabâchées...
    http://chinedesblogs.blog.lemonde.fr/2009/04/07/le-journal-d%e2%80%99enquete-citoyen-d%e2%80%99ai-weiwei-sur-les-ecoles-du-sichuan/

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  6. L'édition papier du Beijing Wanbao (beijing evening news) reprenait hier soir en une les chiffres donnés par Lea; merci à la période de réforme...On peut encore voir la une ici :http://newepaper.bjd.com.cn/bjwb/html/2009-04/15/node_82.htm

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  7. Vous terminez votre billet par:
    "Il va nous falloir beaucoup d'énergie…"

    A voir la tournure du contenu des commentaires "hors sujet" montrant que l'accessoire l'emporte sur l'essentiel, il me semble bien que l'on ait vraiment du souci à se faire, non?!

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  8. Oui... Du nombrilisme de la globalisation...

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