dimanche 29 mars 2009

L'autre Amérique de l'autre Monde

Il est à nouveau question de globalisation: celle des consciences en général et de la mienne en particulier. Certains des articles précédents, au détour d'une phrase, d'une idée, disent tout le mal que je pense de l'impérialisme américain. De reagânerie en busherie, de Vietnam en Irak, de Huntsville Texas en Guantanamo, on en finit plus de pointer d'un doigt coléreux cette Amérique championne du monde de la pensée unique wasp in god we trust pourvu- que-ça-nous-rapporte-on-emmerde-le-reste-du-monde… Ne pas hésiter à voir et revoir We fuck the world cette caricature si juste proposée par les Guignols de l'info qui ne doit pas dispenser du nécessaire 9/11 de Michael Moore. Et là déjà, la faille apparaît… 9/11 est une charge imparable contre l'Amérique de Bush et son business criminel en Irak mais Michael Moore aussi EST Américain! Donc, de quoi parlons-nous quand nous généralisons à grands coups de "les Américains", "les catholiques", "les Français", "les Chinois", les étrangers, etc? C'est simple: cela ne signifie rien! Mais c'est tellement plus facile que l'on relâche sa vigilance et glisse dans la fabrique du consentement dénoncée par Chomsky…

Il n'est pas question de racheter tout à coup ce qui ne peut pas l'être… La première photo de la longue bande ci-contre est celle de Sitting-Bull (1), homme médecine Sioux qui fut d'ailleurs assassiné par l'un des siens mais qui symbolise bien l'acte fondateur de l'Amérique esclavagiste: un génocide. Cela ne peut pas être neutre, une telle mare de sang imprègne définitivement le tissu social, culturel, politique du pays…Comment alors expliquer la mansuétude dont nous faisons preuve pour cette Amérique brutale, criminelle, peuplée de garçons vachers mal dégrossis, de marchands de canons et de blondes décervelées? Peut-être, tout simplement, sommes-nous séduits par leur capacité à se remettre en question... C'est un pays de pionniers venus du monde entier qui offrent une diversité sans équivalent, créent une richesse culturelle dispensée du poids écrasant de l'histoire. Pourtant, malgré cette jeunesse relative David Thoreau (1817-1862) (2) a inspiré Gandhi en écrivant un premier traité de désobéissance civile. Rebelle et philosophe des bois, il est l'un des fondateurs de ce que l'Amérique aura aussi apporté au monde: le concept de liberté. Et ce n'est pas Jim Harrison (3) qui le reniera! Grand écrivain contemporain encensé par la critique et les lecteurs français pour son goût des grands espaces, ses vastes connaissances de la nature dans laquelle ils laissent se débattre des personnages en quête de sens, Big Jim n'avait que 25 ans quand Marilyne Monroe (4) meurt en créant ainsi le mythe parfait de la femme inaltérable… Elle aura tourné son dernier film avec Montgomery Clift (5), celui qui inspirera tous les autres avant de partir un peu vite lui aussi. Les concernant, plutôt que "des Américains", il serait plus juste de parler de l'intensité particulière des ailes/âmes brûlées dans l'incandescence des passions créatrices - l'Amérique ne les a pas créés, elle a rendu leur expression possible. Chet Baker (6) en est peut-être l'archétype, cramé à la lumière blanche de son génie. Alors que John Huston (7) et Henry Miller (8) auront chacun dans leur registre démontré les vertus d'une liberté totale par une œuvre monumentale et une longévité admirable! J'en ai choisis 50, autant que d'étoiles sur leur drapeau, sans réfléchir plus que ça. Sans problème pour aller jusqu'à 100 ou 150!

La comtesse aux pieds nus avec Ava Gardner (9) ou n'importe quelle chanson de Billie Holiday (10) disent à quel point l'Amérique est insaisissable et irréductible, polyvalente et aussi métissée que le monde lui-même. Seulement voilà, malgré l'incroyable virtuosité de Cassius Clay (11) et l'anarchisme poétique de Dylan (12), les perfections formelles et pourtant si distinctes de Kazan (13), James Dean (14) et Kerouac (15), et ce trait commun d'être des précurseurs, d'avoir pousser plus loin un principe ou une idée qui ne demandait qu'à s'envoler, ils sont aussi Américains, c'est à dire de furieux individualistes qui n'hésitent pas à attaquer le système qui les produit - John Cassavettes (16) pourrait à lui seul incarner l'esprit d'indépendance qui sous-tend toute la culture américaine. Et que dire de Ray Charles (17), noir, aveugle, toxicomane qui finira par être appelé The genius! Difficile de concevoir que le pays de What'd I say soit aussi celui de Laura et Gene Tierney (18)! Ce même pays où Martin Luther King (19) vint à bout du racisme institutionnel au prix de sa vie et où Charlie Chaplin (20) né à Londres et mort en Suisse put fonder Hollywood tout en démontant l'inanité du système! Contradiction, paradoxe, arrogance, narcissisme, complaisance, ou génie? Sûrement un peu tout ça et encore autre chose dont on ignore le nom, nous sommes au sommet du genre humain! Coppola (26) en quelques films réglera le compte du Vietnam et de la mafia issue de l'immigration italienne, tout comme John Fante (27) et Bandini l'alter ego anti-héros de ses romans. On peut aussi compter sur Neil Young (28) pour échapper aux classements et étiquettes. D'abord identifié folksinger, il fut la seule référence admise par Kurt Cobain (34), géniteur fiévreux jusqu'au suicide du grunge. Nicholson (29) se contentera de son incomparable talent de comédien pour faire une interminable fête toujours en cours, celle que Janis Joplin (30) a quitté une nuit d'octobre 70, une seringue dans le bras, quelques mois avant Jim Morrison (32) qui aura le bon goût d'en finir à Paris, pas loin du Père-Lachaise. La mort rôde et est même souvent courtisée dans ces parages extrêmes qui transportent le monde conservateur en des lieux malfamés où il se régénèrera presque malgré lui, contraint d'admettre que le rebelle, le fou, qu'il s'appelle Marlon Brando (31), Michael Cimino (33) ou Stanley Kubrick (36), avait vu l'invisible… Sam Shepard (35), de la scène à l'écran en passant par le livre, décrit cette Amérique foudroyante en partant du quotidien de la terre. Un pays parfois perdu dans la folie et la mélancolie, comme chez Brautigan (37), et qui se retrouve au bar du coin, chez Tom Waits (38) probablement. Bill Murray (39) ne va pas tarder à passer en revenant de chez Springsteen (40) où ils auront longuement et amèrement discuté de cette saloperie de guerre et des espoirs qu'ils placent dans le nouveau gouvernement. On peut se demander ce qu'Orson Welles (21) aurait fait de la modernité américaine. Classé génie dès son premier film régulièrement dans le top 10 de tous les temps, Citizen Kane est au cinéma ce que Voodoo Chile et Hendrix (22) sont à la guitare: des inclassables, des créateurs du genre humain qui se trouvent en l'occurrence, et seulement en l'occurrence, être américains. Qui n'a pas vu le regard halluciné de Chris Walken (23) dans Voyage au bout de l'enfer (Deer hunter) ne comprend pas bien de quoi je parle… James Crumley (24) aurait pu écrire le script, le Vietnam il l'a connu de prêt, avant de devenir l'un des meilleurs écrivains américains et de décocher cette formule popularisée par son grand pote Jim Harrison (3): "L'Amérique est un Disneyland fasciste". Johnny Cash (25) en était tellement persuadé qu'il donnera de nombreux concerts en prison – autre paradoxe tout américain! Et en matière de paradoxe, l'immense Clint Eastwood (41), républicain humaniste en train d'achever une œuvre cinématographique qui restera dans l'histoire, peut poser pour la postérité. Posture que ne renierait pas davantage Chuck Berry (42), le père du rock'n'roll si toutefois celui-ci acceptait l'idée d'un géniteur alors que le principe participe plutôt d'un état d'esprit, d'une quête festive, ou d'un festival des sens auquel, chacun à sa façon, Al Pacino (43), Jim Jarmush (44) et Patti Smith (45), participent encore sans oublier de saluer la mémoire de Ray Carver (46) dès qu'ils le peuvent. Même le tandem magistral De Niro (47), Scorcese (48), ne pourrait venir à bout d'une reconstitution de cette liste. Trop riche, trop contradictoire, trop multidirectionnelle, trop concernée par trop de sujets, d'états, de sens, de fonds et de formes – on ne résume pas la vie! Déjà celle de Sean Penn (49), ça ne va pas être simple! Au moins peut-on aujourd'hui, c'est tout frais, à nouveau croire en un petit quelque chose grâce à l'élection d'Obama (50), un Président métis dans un pays où cinquante ans plus tôt les Noirs ne voyageaient pas dans le même compartiment que les Blancs. Prodigieuse évolution qui ne tient pas qu'à l'argent… Ceux-là, ces 50 sortis spontanément de ma mémoire qu'ils ont nourrie, se sont eux-mêmes nourris à la source du monde entier. Ces cinquante-là participent de la mondialisation, pas de la globalisation, c'est pourquoi ils sont des hommes et des femmes avant d'être des Américains. Ils sont des sujets pensant et créant qui ne peuvent être réduits à un périmètre sur une carte ou à une caricature idéologique emprunté à ce que précisément ils récusent. Et ainsi des Français et ainsi des Chinois et ainsi de tout étranger à ma culture qui, au XXIème siècle, ne peut être que du monde entier dans toute sa diversité... non globalisée.
(à suivre...)

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