dimanche 22 mars 2009

YAN Lianke, de la censure au prix LU Xun

Étonnant parcours que celui de Yan Lianke, 50 ans, qui vient de recevoir le prix Lu Xun pour Les jours, les mois, les années. Paysan éduqué à l'armée, il avait fait preuve jusque là d'une audace de romancier que l'on imagine guère possible en Chine. Servir le peuple et Le rêve du village des Ding ont été censurés dès leur sortie, en 2005, avant d'être imprimés à Taïwan et Hong Kong pour mieux revenir en version pirate. Le premier cité raconte l'histoire d'un jeune militaire affecté au service de la femme d'un colonel impuissant. Servir le peuple sera pour lui l'occasion d'une initiation sexuelle d'autant plus subversive que le plaisir du couple adultère est décuplé par la destruction de tout ce qui dans l'appartement se rapporte à Mao, des statuettes aux affiches en passant par les pages du petit livre rouge. Le second va moins loin dans la symbolique mais plonge dans les ténèbres interdites en mettant en scène un petit village du Henan ravagé par le sida, cet énorme scandale toujours officiellement inconnu.

Autre opus, mais qui n'est pas encore traduit en français, Élégies et intellectuels critique ouvertement l'inaction des intellectuels, attentistes, fatalistes, réduits au silence par une censure qui a changé de visage pour prendre celui que l'on connaît bien en Occident: les honneurs accordés au contestataire et qui le font changer de camp – passer à l'ennemi en quelque sorte. Rien n'est plus mal vu que de mordre la main qui vous nourrit, du pôle nord au pôle sud et même en passant par la Chine. Ce n'est pas pour rien que les universitaires de Beida ont très mal réagi à la publication de ce roman. Hélas, il semblerait que le piège vienne de se refermer sur Yan Lianke…

J'ai déjà abordé un aspect du sujet dans De l'usage des hommes de l'être à propos de la récupération des grandes figures littéraires par leur "pays éternellement reconnaissant", etc. L'aspect contemporain du même sujet n'est pas moins pervers: primer un rebelle, un opposant, c'est vraiment lui jouer un sale tour! Encore faut-il que l'écrivain écrive quelque chose d'acceptable… Avec la pire meilleure volonté du monde, impossible de récompenser Yan Lianke pour Servir le peuple ou Le rêve du village des Ding! En revanche, s'il écrit Les jours, les mois, les années, c'est à dire l'histoire d'un vieil homme solitaire accompagné d'un chien aveugle dans un village anéanti par la sécheresse, là, il y a moyen de faire quelque chose pour/contre lui…

On le voit, écrire et publier est une affaire d'autant plus complexe qu'une police du verbe veille. L'auteur n'est plus uniquement absorbé par son travail mais aussi par une somme de calculs très aléatoires pour déjouer ou jouer avec la censure. Quel est exactement le calcul de Yan Lianke et de ses censeurs embaumeurs? A-t-il écrit un roman au thème passe-partout en visant ce prix Lu Xun qui le rend désormais presque intouchable? A-t-il répondu à de quelconques promesses de gloire, de paix, de confort? Est-il à son insu une exemplaire démonstration d'assouplissement? Dans une interview à rue89, au mois d'août dernier l'auteur déclarait: "Il n'y a pas de pensée indépendante en Chine. Les écrivains sont dans le système, et donc il n'y a pas besoin de censure visible, ils savent tous où sont les limites, c'est une censure invisible..." Dans cette même interview, il se souvenait de son premier livre censuré, en 1994, et des six mois de rédaction d'autocritique quotidienne qui suivirent. En 2004, l'interdiction de Servir le peuple ne suscita que des pressions sur l'éditeur et une interdiction de publication officielle qui, comme toujours, fut allègrement contournée. La censure évolue donc vers plus de subtilité, davantage de manœuvre et moins de brutalité, et c'est une bonne nouvelle. La question reste cependant posée: Yan Lianke conservera-t-il son pouvoir de dénonciation et d'opposition? A l'évidence, il n'est plus seul à détenir la réponse. Le thème de son prochain roman et le sort qui lui sera réservé nous renseigneront sans ambiguïté.
Photo: Pierre Haski/rue89

1 commentaire:

  1. Aurait-il pu refuser le prix LU Xun?
    Y-a-t-il eu des précédents comme le Nobel?
    Est-il un fin stratège ou est-il déjà phagocyté par l'hydre millénaire?

    L'auteur est-il toujours vraiment "un rebelle" comme on pouvait le créditer à coup sûr quand, en Août dernier, il déclare à Rue89:

    "Il n'y a pas de pensée indépendante en Chine. Les écrivains sont dans le système, et donc il n'y a pas besoin de censure visible, ils savent tous où sont les limites, c'est une censure invisible..."

    Et s'il s'incluait déjà parmi ceux-là, sa réponse en guise de rideau final serait un triste et navrant aveu, en d'autres termes, "qu'attendez-vous encore de moi?"... Ainsi donc, la messe serait déjà dite.

    Alors, dans ce cas, pas besoin d'attendre son nouveau roman pour savoir si le lion est bien mort ... ou plutôt s'il vient tout simplement de rentrer très sagement à la ménagerie!

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