mercredi 18 mars 2009

La Chine de papa

Dorian Malovic est un homme sympathique et affable qui parle d'une voix douce, il a le sens du merveilleux. Un déjeuner à la campagne, la rencontre de ses parents ou l'énumération du contenu d'une bibliothèque, sont énoncés avec un calme enjoué accompagné de gestes lents et rassurants. L'oeil est pétillant, l'homme cherche visiblement la complicité des enfants à qui il s'adresse… mais qui ne sont pas là.

En face de lui, un parterre d'étudiants, c'est à dire de jeunes et de moins jeunes adultes, qui écoutent patiemment une heure d'anecdotes et d'historiettes du temps de la Chine d'avant (1987), quand "il y avait deux monnaies, une pour les étrangers, l'autre pour les Chinois". En effet, le plat de résistance de la conférence aura été expédié en un gros quart d'heure… De Huo Datong, le premier psychanalyste chinois qu'il a interrogé jusqu'à en faire un livre de 180 pages, on apprendra qu'il est venu à Paris, qu'il ne s'est pas senti bien et qu'un ami lui a conseillé d'en parler à un psy… Et ce sera tout pour la psychanalyse en Chine! Il évoquera aussi un mystérieux personnage de sa connaissance, savant shanghaien hors d'âge dont la première langue fut le shanghaien (bigre!), la seconde, le français (ah, tiens...), la troisième le latin, ce qui signait donc le portrait du pape jaune à qui il a aussi consacré un bouquin mais dont apparemment il ne pouvait pas parler… Pourtant, l'audience avait compris de quel interdit il s'agissait puisque le nom du vieux sage lui fut demandé, mais il réussit à ne pas répondre. Nous voilà donc embarqué sur les chemins de rase campagne où, de cimetière en village, de tombes ancestrales en charmantes accompagnatrices, le temps passait très très lentement, un peu à l'inverse de ce qu'aura vécu la Chine dans cet intervalle de vingt-deux ans où Dorian Malovic semble aussi s'être endormi - au point de croire que la meilleure volonté du monde peut justifier un ton d'une telle condescendance.

Ce temps est révolu, les jeunes chinois posent des questions auxquelles ils attendent des réponses précises et qui font sens. Les plus évolués (qui étaient présents) ne sont plus tout à fait dupes des compliments sur le formidable progrès, etc. A l'évidence, Dorian Malovic n'était pas en situation ou en position de leur répondre. Toute en circonlocution vague et hasardeuse, sa conférence aura été un hymne à la langue de bois, à un politiquement correct tellement abyssal que les spectateurs tentèrent leur chance en lui expliquant ce qu'il en était d'être Chinois et d'aller vivre en France pour revenir et se retrouver dans un état d'inadaptation quasi totale. Même pas eu l'idée de rebondir sur la psychanalyse… J'ai même cru un instant que la conférence allait s'inverser, le public montant sur la scène et l'invité prenant place, seul, au milieu de la salle vidée…

La traversée du pont qui intitulait la conférence n'a donc pas eu lieu. Entre la congélation et l'encéphalogramme plat, la gêne visiblement ressenti par ce conférencier-journaliste à l'écoute de la problématique que tentait d'évoquer le public pose une question d'éthique: si la possibilité de s'exprimer clairement et librement n'est pas garantie, doit-on maintenir le principe d'une "conférence"? Dorian Malevic répond un OUI dont je préfère penser qu'il n'est pas le prétexte à un discours lénifiant bien rodé, d'une Alliance française à l'autre…

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