dimanche 15 mars 2009

"Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants" de Guo Xiaolu

Le titre est aussi racoleur que pertinent! Un dico ne sera pas de trop dans cet inévitable ménage à trois: le couple amoureux et le décalage culturel qui s'invitera à chaque instant de leur vie commune… Autant dire que ça commence fort pour approcher Xiao Lu 小櫓 (petite rame) qui brouille les pistes avec talent – son rapport au cheminement sur l'eau, probablement… Le livre dont il est question ici est important, mais peut-être pas autant que le parcours de son auteur. 350 pages de bonheur très paradoxal - à moins que ce ne soit la souffrance qui finisse par être une jouissance? -, chez un éditeur peu soupçonnable de complaisance sont un bon gage d'honnêteté, un passe, non pour la sainteté, mais certainement pour l'authenticité. Xiaolu est la réponse à To go or not to go, ce ne sont ni les trottoirs ni les universités de l'Occident qu'elle arpente, mais ceux de l'âme du monde que les cultures répressives semblent incapables d'appréhender en tant qu'entité… Xiaolu, comme tant d'autres, un pied à l'Est, l'autre à l'Ouest, a mal au cœur… Comment ne pas compatir, comment ne pas s'agacer? Qu'y a-t-il de si extraordinaire à être Chinoise, Irlandais, Bengali, Turko-Moldave?
Imaginons un type… Bon, d'accord, une jeune femme! Son père est français, lui-même de parents corse (père) et breton (mère). Il tombe amoureux (figure de style) d'une jeune femme d'origine maghrébine… La jeune femme en question est donc née de cette union que l'on projette heureuse sur le plafond noir de nos nuits blanches… Elle fait comment, cette jeune femme? Quelle culture? Quel dialecte? Qui est le Kong Zi de son univers? Mei you dan wei! Et pourtant, la vie!

Petite rame est une grande passerelle… Les jeunes femmes chinoises y trouveront le relevé des désillusions et incompréhensions qui les guettent à l'étranger, dans l'étranger, avec l'étranger, bref, au cœur de l'étrange! Pour les aliens tentés par l'aventure de la vie en compagnie des interdits et des obligations bétonnées, l'honnêteté de Xiaolu fera gagner beaucoup de temps!

"Je ne retournerai peut-être jamais en Angleterre, le pays où je suis devenue adulte, le pays où je suis devenue femme, le pays où j'ai été blessée aussi." (p.328)

On rit, on sourit, on apprécie aussi le tour de main, la capacité à restituer l'évolution du langage et de la compréhension de ce qui entoure l'héroïne/auteur d'une aventure si banalement humaine que l'on se demande ce qui peut générer un tel malaise récurrent, permanent. Le talent de Xiaolu, c'est de légitimer ce que l'Occident ne comprend pas: la puissance d'un formatage qui n'est pas politique, ou alors indirectement, mais tout simplement culturel, familial, éducationnel – nombreuses évocations de l'éducation des petits maîtres, ces géants de l'enfance…
Selon diverses fiches d'éditeurs, Xiaolu Guo est née en 1973 dans un village de pêcheurs du sud de la Chine. Elle se partage aujourd’hui entre la littérature et le cinéma. Premier Prix du Festival de films de femmes de Créteil en 2007 et prix du jury au Festival du film international de Fribourg pour How is your fish today ?, elle a surtout publié deux romans en français : La ville de pierre (Picquier, 2003) et Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants (Buchet/Chastel, 2008). Romancière, poète et réalisatrice, Guo Xiaolu, donne à voir la Chine à travers des documentaires comme The Concrete Revolution, sur les transformations de Pékin. À travers l’écriture et la réalisation, Guo Xiaolu explore les distances entre le monde intérieur et la réalité, et offre, à travers l’art, chaleur et force à une humanité qui selon elle réclame amour et contact émotionnel.
Inutile d'ajouter quoi que ce soit pour comprendre que l'accès aux sites personnels de l'auteur n'est pas possible…

5 commentaires:

  1. J'ai hâte de lire ce livre.
    Ce "Petit dictionnaire chinois anglais pour amants" dont j'aurai dû, à vous lire, sans aucun doute, attendre sa sortie avant de me fourvoyer, fort innocemment, sur les routes de la soie et de la connaissance des ses autochtones et de soi ... par effet miroir.... Alors, un allien avertit en vaudrait-il deux?!

    Ne faudrait-il pas alors qu'un auteur occidental, fin analyste (français en l'occurence serait un plus, bien sûr), en immersion dans le "millieu" se lance à son tour dans la rédaction d'un livre "echo" à Xiao Lu pour un "Petit dictionnaire français-chinois pour amants" à la sauce aigre douce ...
    Quant à l'auteur potentiel , pour un éclairage pertinent et savoureux venant de l'autre rive, j'ai ma petite idée.... Alors, suivez mon regard!

    En outre, à toutes fins utiles, je joins le lien du "journal de sa traduction" (anglais/français), qui est fort instructif sur la méthode retenue.
    http://blogs.myspace.com/index.cfm?fuseaction=blog.view&friendID=399158133&blogID=452002065

    Si j'ai bien suivi, il n'y a pas de version chinoise... du moins pas pour l'instant (surprenant, non?).
    Cela me fait penser au même procédé que Shan Sa, auteur chinoise également, qui avait écrit "La Joueuse de Go" directement dans un français parfait à mes yeux, ce qui semble en faire une différence notoire avec le précédent ouvrage.
    Ce qui les différencie, toutefois, c'est que Shan Sa avait rendu une copie où j'avais ressenti la forte patte du (de la ou des) correcteur(s) par l'insertion de certaines formules populaires et typiquement de terroir à croire qu'il a été écrit à quatre mains pour le moins.
    Puis, il avait été traduit ensuite en chinois et, surprenant, non pas par l'auteur elle-même, ce me semble !
    Du coup, la lecture des différentes versions européennes du "petit dico" devraient réservées son lot de surprises voire un tas de contre sens puisque l'atmosphère et le sens des traductions est très lié, malgré tout, au niveau d'interprétation des traducteurs.
    Ce souci d'authenticité de Xiao Lu a donc à priori ses propres limites, non?!

    Questions:
    Ce procédé est-il courant chez les écrivains chinois expatriés?
    Quelles sont donc leurs motivations?

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  2. Merci pour le lien, passionnant!
    L'authenticité de Xiaolu ne peut pas être dans le jeu sur la langue puisqu'elle a forcément commencé son roman avec son niveau de la fin - au minimum! Son authenticité naît de l'équilibre qu'elle crée dans les responsabilités du désaccord... Elle pourraît charger l'homme, ou multiplier le cocasse qui lui épargnerait ce côté "au fond des choses" où elle ne se ménage pas... Elle force le respect mais spontanément - semble-t-il...
    "Une version chinoise"? C'est de l'humour?:)
    A ma connaissance, les écrivains chinois expatriés écrivent dans la langue d'adoption. Gao Xingjian, par exemple... Ce qu'ils ont à dire passe assez mal au pays et, peut-être par opposition à ce qui les censure, ont une forte volonté d'assimilation qui conduit au langage.
    Vous n'avez pas d'autre nom que "anonyme"?:)

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  3. voici une interview de Guo Xiaolu
    http://www.justinhillauthor.com/Interview_with_Guo_Xiaolu.htm
    où elle précise que ses 6 autres livres et son prochain sont et sera écrits en chinois. Toutefois, elle précise qu'écrire en anglais lui autorise une meilleure liberté d'expression.
    Question: Cette liberté est-elle due à un choix de vocabulaire plus riche en nuances ou à l'emprise de la chappe de plomb culturelle (sorte d'autocensure)? a moins que ce soit les deux?
    J'ai lu quelque part qu'elle vivait maintenant en France; elle ne devrait pas tarder alors à nous "tailler un costard" ... Cela devrait être tentant d'écrire le bouquin en chinois car il ferait un tabac en Chine surtout si elle le pimente de quelques anecdoctes élyséennes.
    Il est à noter qu'elle n'est pas une pure Han puisqu'elle revendique un grand père Hué. Encore une exception qui confirmerait la règle?!

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  4. 4 de ces précédents livres, surtout de la poésie je crois, ont été écrits en Chine... Le prochain en hinois, je suis étonné mais pourquoi pas? Il est vrai que 1M3 de lecteurs, ça fait rêver! Blague à part, elle éprouve sûrement le besoin de retrouver sa langue maternelle. Pour ce qui est du "costard", je ne la sens pas comme ça... Il me semble qu'elle est passée de l'autre côté. Je ne veux pas dire 'à l'étranger', mais dans un espace personnel où l'étranger n'est plus surdéterminant... Je rêve peut-être un peu mais je veux bien parier un restau!

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  5. Pour le restau, ok, il vous faut alors sauter dans le premier avion dès que la fenêtre météo est favorable ... Pour ce qui est du "costard" même si ce n'est, peut être, pas le style de la maison Xiaolu, il serait toutefois utile et très instructif d'avoir son sentiment débridé sur le differentiel "culturel" entre ces deux frères ennemis des deux rives de la Manche.
    Aujourd'hui, Xiaolu n'est plus tout à fait chinoise, elle le dit, elle est sur le chemin de la découverte du monde et d'elle-même, elle forge sa propre identité.
    Mais, je crains bien, dès que le succès va être incontournable à l'Occident, la machine à récupérer, à recycler, à phagocyter, le chant des sirènes qui vous transforme en boomerang se mettra en route pour en faire un nouveau produit, une nouvelle lessive qui lave plus blanc à usage des masses en attente de lavage de linge sale.
    Combien d'artistes et autres, en attente de reconnaissance de leurs pairs sont devenus les meilleurs thuriféraires des pires régimes ceux qui les ont opprimés?
    La victime apprend trop souvent à aimer son bourreau, la carotte aidant quand le bâton ne rend plus sa fonction.
    Alors, les victimes m'ont appris à être prudents sans sous-estimer pour autant les exceptions qui confirment toujours la règle générale ici ou ailleurs, d'ailleurs !

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