vendredi 27 mars 2009

Juliette Binoche, la french culture

En invitant Juliette Binoche mercredi soir, la France a sorti le grand jeu pour lancer la quatrième édition de Croisements, le grand boum culturel oeuvrant aux rapprochements des cultures. Cette Culture qui était donc le grand mot - Consulat de Shanghai et Ambassade de Beijing associés dans un événementiel de grand standing, au Sofitel de Nanjing dong lu - pour dire que la France rayonne encore, même en Chine où les temps sont durs pour les fils de la Tour Eiffel à défaut du ciel, ultime symbole de grandeur. Cette culture logiquement omniprésente en période de francophonie incluant festival du cinéma français, musique, danse, et présence de star ambassadrice du talent hexagonal, était donc représentée par Juliette Binoche, femme de caractère et esprit libre doté de ce petit quelque chose d'insaisissable qui participe grandement de son charme et la laisse voyager très sereinement du cinéma à la danse, en passant par la peinture, la poésie et les grandes affiches d'un parfumeur. Nous étions donc dans l'officiel de bon goût, très originalement mis en situation par une performance et une installation gastronomique dues à La cellule (Becquemin & Sagot)…
Mais avant de nous sustenter à même le personnel, il nous fallu accueillir la star jusqu'alors retenue par une conférence de presse. Elle arriva accompagnée de son partenaire chorégraphe et danseur Akram Khan, tous deux poursuivis par le halo d'un projecteur qui les conduisit jusqu'au podium où l'opération Croisements fut officiellement lancée et présentée ainsi que les stars encensées en un incontournable exercice de style. Et Juliette Binoche, visiblement très heureuse d'être là, prit la parole à l'heure d'un grand événement de la culture française en Chine en… anglais.
Je ne croyais pas être à ce point d'actualité en distinguant mondialisation et globalisation quelques heures avant d'assister à cet exemple caractérisé d'américânerie totale dans un contexte qui l'excluait pourtant par essence. Oh, ce ne fut pas très long… Quelques minutes très souriantes disant l'amour de la Chine à travers un grand-père communiste et une soif enfin étanchée de voir des vrais communistes ainsi qu'un vif intérêt pour la médecine naturelle et l'acupuncture. Très légèrement, tout en humour et large sourire radieux. Et puis… Thank you very much comme un signal pour la poursuite lumineuse qui pouvait reconduire Miss Binoche et son équipe rapprochée jusqu'à la sortie. La star fut alors officiellement remerciée pour sa prestation dans la même langue de Shakespeare, un peu comme si un virus avait foudroyé Littré et Grévisse en quelques minutes. Il me faut admettre un choc certain, pas véritablement une hébétude, plutôt une ulcération mal venue en ces lieux de consensus… global. Alors que le happening gastronomique dévoilait une séduction épicée, je maugréais sans écho. Faisant glisser la pilule amère avec du vin australien, j'errais quelques temps en terra incognita, ni en Chine, ni en France, pas en Angleterre non plus et en Amérique moins encore, juste dans un nowhereland peuplé d'environ 300 personnes francophones dont une traductrice interprète qui n'eut pas le loisir d'exercer son talent. Les serveuses de soie rouge tendaient leurs membres et leurs courbes hérissés de petits-fours… Très joli, très appétissant, mais, même en envisageant tous les extrémismes possibles, je ne parvenais pas à imaginer Gong Li en train de parler anglais dans une ambassade chinoise! Des mains tendant un pic garni de charcuterie fine surgissaient des trous pratiqués dans la très grande table, un immense caisson blanc dans lequel une dizaine de volontaires (Chinoises étudiantes de français) passèrent la soirée… Je n'étais donc pas le plus mal loti et l'ambiance devenait de plus en plus chaleureuse, reconnaissante du luxe auquel elle était conviée, de Champagne en délicieux canapés. C'est dire si mes remarques désobligeantes quant au cocufiage de Molière en direct live furent mal accueillies… En substance: Oui, oui, certes, bon, c'est une star internationale, hein, bon, tout le monde a compris ce qu'elle disait, c'est évident, ça va pas mon p'tit vieux?, faut vous détendre, là… Il est probable que mes interlocuteurs n'avaient pas cours le lendemain face à des étudiants chinois pour qui la langue française est souvent un deuxième ou troisième choix. Il est à craindre également que d'un point de vue culturel, le français ne soit même plus envisagé comme langue de communication. Ce qui ne facilite guère le discours pédagogique du langage en tant qu'élément déterminant d'une culture vivante et inversement. Confronté aux académismes dramatiquement archivés chez Daudet, il faudrait donc leur dire à ces étudiants que "la plus belle langue du monde", même dans un îlot consulaire, même lors d'un événement culturel national, on ne la parle plus… Je n'ai pas eu le courage, j'ai fait cours sur les haines d'écrivains, Hugo versus Sainte-Beuve, etc, un excellent article de Jean-Paul Enthoven paru dans Le point du 8 janvier. Pour aborder l'actualité, j'attendrai que le français redevienne à la mode et que les Français ne se sentent plus obligés de montrer qu'ils parlent enfin l'anglais. Une prochaine incarnation peut-être…
Photos: O.D.

4 commentaires:

  1. En effet, quelle douche écossaise!
    Ite missa est...
    Voilà, une illustration, ô combien, révélatrice du "suicide" culturel français en cours avec en prime le consentement mutuel de l'ambassade et du consulat déjà foncièrement "globalisés".
    De la belle ouvrage !
    Quel terrible abandon d'identité en rase campagne, très significatif de l'état de désintégration de notre spécificité qui pourtant en ces temps troublés pourrait contribuer à explorer d'autres voies que celle de la pensée et de la langue unique.

    Sans nul doute, vous avez chaleureusement remercié la traductrice en faction ainsi celui ou celle qui l'avait recruté pour l'occasion en les priant bien sûr de s'abstenir la prochaine fois, afin de faire moins désordre.

    Pas sûr alors que vos étudiants vous demandent pourquoi son allocation n'était pas en français, tellement ils savent déjà le sort qui nous est réservé.
    Si d'aventures, il y avait quelques malicieux ou malicieuses, vous n'avez plus le choix répondez leur, illico presto, en latin...

    Toutefois, pour soulager vos ulcères et pour remettre les pendules à l'heure, transmettre un billet à "Miss Binoche" pour la remercier de son "soutien appuyé" aux Astérix qui en Chine, comme ailleurs, font la promotion de langue et de la pensée française serait d'une nécessité vitale et utile, non?!.

    L'heure n'est-elle pas définitivement à la résistance active, ou alors, à la troquer pour le logiciel de la collaboration passive?
    A chacun de choisir, le mien est fait.

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  2. Monsieur, chez-moi aussi Binoche a répondu en anglais ,dans la ville la plus francophone d'Amérique du nord, comme tout les Français qui viennent ici le font,qu'importe le secteur d'activité,en Chine la langue française est votre gâgne-pain ,au Québec elle est ma survivance.

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  3. Je ne pense pas avoir envisagé la question sous l'angle économique, seulement culturel. Nos situations (Québec, Chine)sont différentes mais le principe est le même: il faudrait que quelqu'un lui dise que son mépris ou sa prétention ou son ignorance ne servent à personne. En revanche, parler en français à ceux qui sont francophones par nature et par choix relèverait du respect minimum, du simple bon sens, perçu alors comme une reconnaissance. En tant qu'ambassadrice culturelle, c'est son boulot, et elle ne le fait pas, et les fonctionnaires aux affaires cautionnent tout comme la presse... Bonne chance au Québec!

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  4. Je suis heureuse de voir que je n'ai pas été la seule atterrée en entendant Binoche déblatérer en anglais ! En signe de protestation, la table s'est remise à servir (ce n'était pas forcément lié pour nous toutes, mais dans mon cas...
    Nous n'étions pas toutes étudiantes en Français sous la table.

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