samedi 7 février 2009

Leys vs Barthes, un faux procès

Ce serait une polémique stérile parmi d'autres si elle n'était étrangement à charge...
Certes, c'est à Leys que l'on doit l'éclair de lucidité qui permit, non sans rancoeur, à l'intelligentsia parisienne de sortir de l'illusion maoïste. Soit, très bien, parfait! C'est un fait historique reconnu. Alors pourquoi le sinologue belge revient-il avec une telle fureur sur la faiblesse, le manque d'engagement politique, idéologique, de Barthes? A l'évidence et au fil des notes du voyage chinois que rapporte Le magazine littéraire, Barthes est absent. Du moins, son intelligence, l'oeil acéré et la plume qui le traduit, ne sont pas convoqués au chevet d'un voyageur qui semble avoir suivi, s'être laissé convaincre par des copains, d'aller faire un tour chez Mao... Ce n'est pas son terrain et cela ne l'a jamais été. Lecteur dans une université d'Alexandrie pendant un an et, à ma connaissance, pas une note! On pourrait presque y voir la démonstration de la constante modestie de Barthes. Ni sinologue, ni sinophone, il regarde par la fenêtre, spectateur ennuyé tant par son inexpérience, méconnaissance du sujet, que par le contexte très encadré et le numéro de Sollers (qui en convient lui-même). Simon Leys se trompe de cible au moment d'intenter son procès qui ne peut concerner que l'éditeur (Ch. Bourgois) de ce carnet de voyage - Barthes ne souhaitait pas le publier, certainement conscient de l'inanité de ces pages... Et pourtant, ne serait-ce que dans les extraits rapportés par Le magazine littéraire, on ne trouve pas que l'ennui majuscule du voyageur qui a irrité Simon Leys...
14 avril 1974, Pékin - "Je sens que je ne pourrai les éclairer en rien - mais seulement nous éclairer à partir d'eux. Donc, ce qui est à écrire, ce n'est pas Alors, la Chine? mais Alors, la France?"
Cette France qu'il incarne au mieux en multipliant les observations à partir de deux obsessions: la bouffe et le sexe! Barthes n'est pas allé en Chine pour en découdre avec une idéologie mais pour voir l'effet que ça fait! Et pourquoi pas?
18 avril 1974, Shanghai - "Toutes ces notes attesteront sans doute de la faillite, en ce pays, de mon écriture (par comparaison avec le Japon).
18h30 - La nuit tombe. Je lis Bouvard et Pécuchet. Ph. S. et Zhao jouent aux échecs chinois, que j'ai tout de suite abandonnés après en avoir demandé une démonstration."
On peut difficilement s'avouer plus vaincu ni se tenir plus en retrait.
20 avril 1974 - "Toujours aucune nouvelle de France depuis huit jours. [...]
Tombeau de Ming. [...] Je reste dans l'auto, pendant que les autres sortent, photographient."
Barthes ne participe pas, ne prend pas (sa) part, reste à distance, peut-être par peur d'impertinence. Pourtant, le 1er mai, à Pékin, quelques mots suffisent pour synthétiser ce qui justifie en grande partie le combat de Simon Leys: "Est-ce qu'on peut prétendre développer la conscience politique sans développer l'intelligence (la réflexion) d'autre part? Peut-on aiguiser politiquement et infantiliser le reste? Ce 1er mai me donne paradoxalement l'imagination terrifique d'une humanité luttant à mort pour... s'infantiliser."
Le niveau d'analyse, d'expertise, de Barthes, ne pouvait s'exercer sur une étrangeté aussi bétonnée que la Chine, toujours en résistance volontariste à la compréhension occidentale.
"Tout livre sur la Chine ne peut-être qu'exoscopique."
Quel raisonnement peut conduire à reprocher à ce quêteur de l'intimité du sens de ne pas y avoir trouver son compte?

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